21 DÉCEMBRE - 3 jours avant Noël
L’épuisement pesait sur Léo comme une chape de plomb. La mission de sabotage de la veille l’avait laissé vidé, et le manque de sommeil rendait chaque mouvement pénible. Au petit-déjeuner, il avait dû redoubler d’efforts pour paraître normal, mais les cernes sous ses yeux parlaient pour lui.
« Léo, ce soir, on dîne tous les trois, sans écrans », avait décrété sa mère, son regard plein d’une inquiétude qu’il ne pouvait plus ignorer. « On a besoin de se parler. Tu nous sembles si distant. »
Léo n’avait pas l’énergie de protester. Mais il ne pouvait pas non plus perdre une soirée entière. Le temps pressait. La tour de l’horloge attendait, et il devait finaliser le plan d’assaut avec N.O.I.S.E.T.
La solution s’imposa d’elle-même, aussi brillante que risquée.
« N.O.I.S.E.T., on va redéployer le Leurre 3000 », annonça Léo une fois dans sa chambre.
Le robot-lutin cessa de polir une de ses lentilles. « Agent Léo, l’utilisation du Leurre en environnement non-contrôlé, pour une durée prolongée et avec interaction verbale, est fortement déconseillée. Le taux de défaillance augmente de 73%. »
« On n’a pas le choix. Je vais le programmer pour qu’il hoche la tête et qu’il mange. Pendant ce temps, on travaille ici. Tu le surveilles depuis mon ordinateur. »
À l’heure du dîner, le plan fut mis à exécution. L’hologramme de Léo, étonnamment stable, prit place à table. Dans sa chambre, le vrai Léo, écouteurs en place, suivait la conversation tout en étudiant les plans de la tour projetés par N.O.I.S.E.T.
« Le gratin est bon, chéri ? », demanda sa mère.
Sur l’ordinateur de Léo, N.O.I.S.E.T. pressa une touche. À table, l’hologramme hocha la tête avec un sourire un peu trop parfait. Ça fonctionnait.
Mais la machine commença à montrer des signes de fatigue. La fourchette de l’hologramme passa à travers une pomme de terre. Le père de Léo fronça les sourcils, mais mit ça sur le compte de la fatigue de ses propres yeux.
Puis, le bug s’aggrava. Le visage du Leurre se mit à pixeliser légèrement sur les bords. Sa mère s’arrêta au milieu d’une phrase.
« Léo, tu es sûr que ça va ? Tu as l’air… bizarre. Presque transparent. »
N.O.I.S.E.T. tapota frénétiquement sur le clavier. « Surchauffe du processeur matriciel ! Je perds le contrôle de la cohésion photonique ! »
C’est alors que la catastrophe se produisit. Face aux regards de plus en plus inquiets de ses parents, l’hologramme de Léo se figea. Ses yeux devinrent vides. Son corps se mit à scintiller d’une lumière bleue erratique, comme une vieille télévision. Puis, avec un son de décharge statique, il se désintégra en un millier de particules lumineuses qui s’élevèrent vers le plafond avant de s’évanouir, laissant derrière elles une chaise vide et un silence de mort.
Le choc figea ses parents pendant une seconde. Puis la panique la plus totale prit le dessus.
« LÉO ! »
Ils se levèrent d’un bond, renversant une chaise, et se précipitèrent vers l’escalier. Léo entendit leurs pas affolés. Il eut juste le temps de tout éteindre et de se jeter sur son lit quand la porte de sa chambre s’ouvrit à la volée.
Sa mère était pâle comme un linge, son père le regardait comme s’il était un fantôme.
« Léo ! Tu es là ! Mais… à table… Tu as… disparu ! » balbutia-t-elle.
L’esprit de Léo tourna à plein régime. Il se redressa, feignant le vertige, et se passa une main sur le front.
« Disparu ? Mais non… je suis là. Je me sentais pas bien, j’avais une de ces migraines… J’ai dû m’assoupir. Je n’ai même pas entendu que vous m’appeliez pour le dîner. »
Son père s’approcha, posa sa main sur son front. « Il est brûlant ! », dit-il, confirmant un mensonge que Léo n’avait même pas osé inventer. La panique et l’adrénaline lui donnaient une fièvre bien réelle.
Sa mère fondit en larmes de soulagement et de peur mêlés. « On a cru… On a vu… C’était comme si tu te… dématérialisais. On a dû avoir une hallucination collective. Tu es surmené, mon chéri. Complètement épuisé. »
Son père prit un ton ferme et sans appel. « C’est décidé. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Tu ne retournes pas au collège avant les vacances. Tu restes ici, au lit. On va s’occuper de toi. »
Il se dirigea vers la fenêtre et la ferma, tournant le petit loquet de sécurité. « Et pour éviter que tu ne ‘prennes l’air’ en pleine nuit, on va garder ça fermé. Pour ta sécurité. »
Léo les regarda, horrifié. Il venait de passer d’agent secret à prisonnier dans sa propre chambre. Dehors, la nuit tombait, et le compte à rebours avant Noël continuait de tourner. Sans lui.
