23 DÉCEMBRE - 21:00

Le salon des parents de Léo n’a jamais semblé si froid, malgré les guirlandes qui clignotent sur le sapin. La mère de Léo, le téléphone collé à l’oreille, fait les cent pas sur le tapis. Son visage est blême.

« Non, Mme Dubois, il n’est pas avec Théo… Oui, on a déjà vérifié. S’il vous plaît, s’il vous donne des nouvelles… Merci. »

Elle raccroche, les larmes aux yeux. Le père de Léo, manteau sur le dos et bonnet enfoncé jusqu’aux sourcils, ouvre la porte d’entrée, laissant entrer un vent glacial. « Rien. J’ai fait le tour du parc et de la patinoire. Les rues sont pleines de monde pour les derniers achats, mais aucune trace de lui. C’est comme s’il s’était volatilisé. »

L’angoisse est palpable. La chaise vide à table, la chambre silencieuse à l’étage… Pour eux, leur fils est porté disparu. Un adolescent de quatorze ans, seul dans la nuit glaciale de Mont-Sapin, à la veille du réveillon.


21:15 - Tour de l’Horloge

Loin de l’inquiétude de ses parents, Léo n’est pas seul. Il est concentré, le souffle court, agrippé à la façade de la tour de l’horloge. Le vent siffle autour de lui, fouettant son écharpe surdimensionnée. En dessous, la ville scintille, un tapis de lumières festives que son ennemi s’apprête à éteindre pour toujours.

« Analyse de la structure, Agent Léo : les prises sont stables mais glacées. Probabilité de glissade : 47%. Je vous recommande la plus grande prudence, » crachote la voix métallique de N.O.I.S.E.T. depuis son épaule.

« Reçu, N.O.I.S.E.T. Un peu moins de stats, un peu plus d’encouragements, ça t’arrive ? » rétorque Léo entre deux efforts.

« Mon programme ne contient pas de module “encouragements superflus”. Il contient un module “analyse de risque” qui nous maintient en vie. Concentrez-vous. »

Léo sourit malgré la tension. Il a parcouru un long chemin depuis le gamin maladroit qui avait failli détruire sa chambre avec le Grappin Sucre d’Orge. Il utilise ce même grappin avec une précision d’expert, se hissant mètre par mètre vers le beffroi, le cœur battant au rythme du tic-tac géant de l’horloge.

21:45 - Le Sommet

Léo se glisse par une ouverture sous le cadran. Le bruit des engrenages est assourdissant, mais il est couvert par un vrombissement électrique plus sinistre. Au centre du beffroi, là où devrait se trouver le mécanisme principal de l’horloge, se dresse une machine monstrueuse. Un assemblage de métal noir, de câbles épais et de bobines qui crépitent d’une énergie verdâtre. Des tubes aspirent littéralement la joie lumineuse des décorations de la ville, la canalisant vers un cristal noir central.

Debout devant un pupitre de commande, le Dr. Givre lui tourne le dos. Il est vêtu d’un long manteau blanc, aussi impeccable que la neige immaculée.

« Bienvenue, Agent Léo. Ou devrais-je dire… Léo tout court ? Je dois avouer que je suis impressionné. Pas assez pour te laisser gagner, bien sûr. »

Le Dr. Givre se retourne. Son sourire est un trait fin et glacial. Sur un écran géant, un compte à rebours affiche : LANCEUR D’AMNÉSIE FESTIVE - 00:29:54.

« Dans moins d’une demi-heure, le monde entier oubliera la simple notion de Noël. Plus de cadeaux, plus de chants, plus de joie. Juste le silence apaisant et logique de l’hiver. »

« Vous êtes fou ! » crie Léo, son sac à dos high-tech brillant d’une lueur bleue d’anticipation.

« Je suis un visionnaire, » corrige Givre en appuyant sur un bouton. « Et toi, tu es un obstacle. »

La machine s’anime. Des bras robotiques jaillissent des murs, des drones-boules-de-neige nouvelle génération, plus rapides et armés de lasers froids, foncent sur Léo. Le duel final a commencé.

Léo est un tourbillon. Il glisse sur son snowboard à propulsion, esquive les tirs, lance des disques IEM pour court-circuiter les bras mécaniques. N.O.I.S.E.T., de son côté, est une furie de bois et d’acier. Il saute de drone en drone, plantant ses mini-outils dans leurs circuits avec une rage méthodique.

« Circuit principal exposé sur votre gauche, Agent Léo ! C’est notre chance ! » hurle le robot-lutin.

Léo fonce. Mais c’est un piège. Au moment où il s’approche, le Dr. Givre déclenche son arme principale : un canon énergétique massif dissimulé dans la machine, qui charge un rayon d’une puissance dévastatrice, droit sur lui.

Tout se fige. Léo, pris au dépourvu, lève les bras pour se protéger, sachant qu’il est trop tard. Le temps semble ralentir.

« Agent Léo, » dit la voix de N.O.I.S.E.T., soudainement calme. « Le protocole ultime stipule que la mission passe avant l’agent. Mais le règlement n’a jamais parlé des partenaires. »

Un éclair de bois peint. N.O.I.S.E.T. a sauté de son épaule.

« N.O.I.S.E.T., NON ! »

Le petit soldat de bois se place entre Léo et le rayon mortel. Il écarte ses petits bras, faisant face à l’explosion d’énergie pure.

« Protocole… Flocon Rouge, » grésille-t-il.

L’impact est aveuglant. Une déflagration silencieuse et terrible. Quand la lumière s’estompe, il n’y a plus rien. Juste quelques éclats de bois peint et une minuscule vis qui roulent sur le sol. L’œil bleu brillant de N.O.I.S.E.T. vacille une dernière fois au milieu des débris, puis s’éteint pour toujours.

Un silence de mort s’installe, seulement brisé par le rire froid du Dr. Givre.

Léo reste figé, le souffle coupé. La tristesse, brute et violente, le submerge. Puis, elle se transforme en autre chose. Une fureur froide et déterminée. Il se relève lentement. Son regard croise celui du Dr. Givre. Le jeu est terminé. Il ne s’agit plus de sauver Noël. Il s’agit de venger son ami.