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La neige crissait sous ses bottes, un son mat et régulier qui tentait de mettre de l’ordre dans le chaos de ses pensées. Maxime avançait sans but, le souffle court dessinant des fantômes dans l’air glacé. La forêt, drapée de blanc, était d’une beauté si pure, si indifférente, qu’elle en devenait presque insultante. Chaque flocon qui se posait sur son manteau semblait un reproche silencieux.
Son téléphone était mort, vaincu par le froid, tout comme la conversation qu’il avait tenté d’avoir, la dernière. Les mots s’étaient gelés entre Clara et lui, tombant comme des éclats de verre. Il avait fui la ville, cherchant dans le silence de la nature une réponse que le bruit des hommes lui refusait.
Au creux de sa poche, une petite boîte rectangulaire pesait une tonne. Le cadeau. Celui qu’il devait lui offrir ce soir, pour leur anniversaire. Une promesse de futur sculptée dans un objet qu’il n’avait même pas encore osé regarder. Maintenant, ce n’était plus qu’un cercueil de velours contenant une vérité qu’il refusait d’affronter.
C’est alors qu’il la vit. Absurde et anachronique. Une cabine téléphonique rouge, plantée au croisement de deux sentiers de randonnée, comme un point final carmin sur une page immaculée. Un vestige d’un autre temps, mais aussi, peut-être, une chance. L’envie irrationnelle de l’appeler, d’essayer encore, une dernière fois, lui tordit l’estomac.
Mais la cabine était occupée.
À travers la vitre embuée, il devina une silhouette frêle, une femme âgée au manteau sombre, le combiné noir pressé contre son oreille. Il s’arrêta à quelques mètres, tapant du pied pour chasser le froid, l’impatience montant en lui comme une fièvre. Chaque seconde qu’elle passait là était une seconde de plus où le gouffre entre Clara et lui pouvait devenir infranchissable.
Elle ne parlait pas. Elle écoutait, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Maxime se rapprocha, essayant de ne pas paraître menaçant. Il pouvait entendre le silence au bout du fil, le grésillement lointain d’une ligne vide. Que faisait-elle ?
La porte s’ouvrit dans un grincement. La vieille dame se tourna vers lui, ses yeux clairs et vifs le jaugeant sans hostilité.
« Vous attendiez ? Pardonnez-moi, jeune homme. »
Sa voix était douce, à peine éraillée par l’âge.
« Ce n’est rien, » mentit Maxime. « J’espérais juste passer un appel. »
« Ah, ces petites machines modernes, » dit-elle en jetant un regard amusé vers la poche où se trouvait son téléphone inerte. « Elles n’aiment pas le froid. Celles-ci, au moins, sont fiables. »
Elle ne bougeait pas, semblant savourer la chaleur relative de l’habitacle. Maxime sentit son irritation monter. Il voulait être seul avec son chagrin et son espoir ridicule.
« Vous… vous aviez terminé ? » demanda-t-il, un peu plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu.
Elle le regarda, puis son regard glissa vers la main de Maxime, crispée sur la boîte dans sa poche.
« Presque, » dit-elle. « Je venais juste écouter. »
« Écouter ? »
« Le silence, » répondit-elle simplement. « Mon mari est parti il y a trois ans. C’était notre rituel, chaque dimanche. Il appelait cette cabine depuis la maison, et même quand il n’avait rien à dire, il restait en ligne. Juste pour que je sache qu’il pensait à moi. Parfois, le plus beau des cadeaux, c’est ce qui n’a pas besoin d’être dit. »
Les mots de la vieille dame suspendirent le temps. Maxime sentit le poids dans sa poche changer de nature. Ce n’était plus une ancre le tirant vers le fond, mais une simple masse inerte. La vérité qu’elle contenait n’était pas un secret à découvrir, mais une absence à constater.
Il sortit lentement la boîte de sa poche. Le velours était froid sous ses doigts. La vieille dame lui adressa un sourire plein de douceur, comme si elle comprenait tout.
« Certains cadeaux ne sont pas faits pour être offerts, » murmura-t-elle. « Ils sont faits pour nous apprendre quelque chose sur nous-mêmes. »
Elle fit un pas hors de la cabine, le laissant seul dans le petit espace confiné. L’odeur de la laine mouillée et d’un lointain parfum de lavande flottait dans l’air. Maxime regarda le combiné noir, suspendu à son fil torsadé. L’envie de composer le numéro de Clara avait disparu. Que lui dirait-il ? Les mots qu’il cherchait n’existaient pas pour réparer ce qui était brisé. La seule chose à faire était d’accepter le son du silence.
Avec une lenteur infinie, il ouvrit la boîte. À l’intérieur, sur un lit de satin, reposait un diapason. Un simple diapason en métal poli, gravé d’une seule note : un La. La note sur laquelle tous les instruments d’un orchestre s’accordent avant de jouer ensemble. C’était leur blague, leur symbole. L’idée que, quoi qu’il arrive, ils trouveraient toujours leur harmonie.
Maxime le prit dans sa main. Il ne le fit pas vibrer. Il n’en avait pas besoin. Il savait déjà le son qu’il produirait. Une note pure, claire, solitaire.
Il resta un long moment immobile, le diapason froid dans sa paume. Puis, il referma la boîte et la glissa dans une autre poche, une poche intérieure, plus près de son cœur. Ce n’était plus un cadeau pour elle. C’était un rappel pour lui. Le rappel qu’avant de pouvoir jouer en harmonie avec quelqu’un d’autre, un musicien doit d’abord être parfaitement accordé avec lui-même.
Il sortit de la cabine. La vieille dame avait disparu, ses pas déjà effacés par la neige nouvelle. La forêt semblait moins hostile, les arbres moins accusateurs. Maxime leva les yeux vers le ciel laiteux. Il n’y avait pas de réponse, pas de révélation divine. Juste le silence blanc de décembre. Et pour la première fois depuis des jours, ce silence ne lui parut pas vide. Il était plein d’une promesse nouvelle. Celle d’une mélodie à venir, une mélodie qu’il composerait seul. Pour commencer.
