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Le parapluie qui faisait danser les peurs
Au sommet du plus grand chêne de la Forêt Scintillante se nichait une cabane secrète. C’était le refuge de Kiko, un jeune loup pas comme les autres. Alors que ses frères s’entraînaient à hurler à la lune, Kiko, lui, s’entraînait en silence à faire des pliés et des entrechats. Son plus grand rêve n’était pas de diriger une meute, mais de devenir danseur étoile. Sa fourrure grise était douce comme du velours, et ses pattes, d’habitude faites pour la course, apprenaient la grâce des arabesques.
Un après-midi, alors que Kiko tentait un saut particulièrement difficile, un bruit terrible fit trembler sa cabane.
GROOON… GRRAAA… BOUM !
Kiko se figea, une patte en l’air. Son cœur de danseur se mit à battre la chamade, mais pas du tout en rythme. Le bruit venait du pied de son arbre. C’était un son lourd, fâché, comme si un géant grognon essayait de déraciner le chêne.
« Oh non… », murmura Kiko. « C’est sûrement le Grincheux des Racines, le monstre dont les anciens racontent l’histoire ! »
La peur s’empara de lui. Il n’osait plus bouger, encore moins danser. Chaque fois qu’il essayait de reprendre sa musique, le bruit redoublait de férocité : GROOON… GRRAAA… BOUM ! Comment pouvait-il suivre la mélodie d’un ballet avec un vacarme pareil ? Son rêve était en danger !
Kiko se cacha sous son petit lit de feuilles, les oreilles aplaties. Mais alors, son regard tomba sur un objet étrange posé dans un coin : un parapluie aux couleurs de l’arc-en-ciel, que lui avait offert une fée voyageuse. Ce n’était pas un parapluie ordinaire. Son pouvoir était bien plus délicieux : quand on l’ouvrait, il faisait tomber des bonbons.
Une idée germa dans sa tête. La peur était là, mais sa passion pour la danse était plus forte. Il ne pouvait pas laisser un monstre grognon gâcher ses entrechats !
« Il faut écouter son cœur, » se dit-il pour se donner du courage, « et mon cœur veut danser ! »
Armé de son courage et du parapluie magique, Kiko descendit prudemment l’échelle de corde. Plus il approchait du sol, plus le bruit était assourdissant. Arrivé en bas, il se cacha derrière un buisson et jeta un œil.
Ce qu’il vit le laissa sans voix.
Le “monstre” n’était pas un monstre. C’était un énorme ours brun, l’air terriblement frustré. Le GROOON était son grognement de colère. Le GRRAAA était le son de ses griffes sur l’écorce. Et le BOUM… c’était le son de son popotin qui tombait lourdement sur le sol !
L’ours se relevait, essayait de faire une sorte de tour sur lui-même, perdait l’équilibre et… BOUM ! Il essayait de danser !
Kiko comprit tout. La peur s’envola comme une feuille au vent. Cet ours n’était pas méchant, il était juste… maladroit. Et triste.
S’avançant doucement, Kiko interpella l’ours :
« Excusez-moi, Monsieur l’Ours ? Vous faites beaucoup de bruit. »
L’ours, surpris, se retourna d’un bloc. « Quoi ? Qui es-tu, petit loup ? Laisse-moi tranquille ! J’essaie de… enfin, peu importe ! »
« Vous essayez de danser, n’est-ce pas ? » demanda Kiko avec douceur.
L’ours baissa la tête, tout penaud. « Oui… J’ai toujours rêvé d’être aussi léger qu’une plume, mais je suis aussi gracieux qu’un rocher qui dévale une colline. »
Kiko eut un grand sourire. Il n’était pas seul !
« Ne soyez pas triste ! » dit-il. Et d’un geste théâtral, il ouvrit le parapluie magique.
Instantanément, une pluie colorée et sucrée se mit à tomber autour d’eux. Des réglisses torsadés, des fraises pétillantes et des petits oursons en gélatine rebondirent sur le museau de l’ours. Ébahi, il attrapa un bonbon au vol avec sa grosse patte et le goûta. Ses yeux s’illuminèrent.
« C’est… c’est magique ! » s’exclama-t-il en riant pour la première fois.
« Je m’appelle Kiko, et j’adore la danse classique, » dit le louveteau. « Je m’entraîne tous les jours. Si vous voulez, je peux vous apprendre quelques pas. On pourrait commencer par quelque chose de simple. »
L’ours, qui s’appelait Boris, accepta avec une joie immense.
Ce jour-là, Kiko comprit une chose très importante. Sa plus grande peur n’était en fait qu’un rêve qui n’osait pas s’exprimer. En écoutant son cœur qui lui disait de danser, il avait non seulement vaincu sa peur, mais il avait aussi trouvé un nouvel ami.
Et désormais, dans la Forêt Scintillante, il n’était pas rare d’entendre une douce musique et de voir un jeune loup gracieux enseigner un plié à un grand ours heureux, sous une pluie occasionnelle d’oursons en gélatine.

