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Lumi et la Symphonie du Pardon

Dans la poussière dorée derrière un vieux piano à queue, vivait un dragon pas plus grand qu’une souris. Il s’appelait Lumi, et il avait deux particularités : ses écailles brillaient comme de l’or poli, et surtout, il était terriblement, incroyablement, merveilleusement bavard.

« Admirez-moi ! » disait-il aux araignées qui l’ignoraient. « N’ai-je pas la plus belle des flammes ? Elle sent la cannelle, vous savez ! Et ma voix, n’est-elle pas digne d’un roi ? Écoutez-moi rugir ! » Et il poussait un petit couinement qui faisait à peine trembler un grain de poussière.

Un jour, en explorant son royaume de lattes de parquet, Lumi découvrit un trésor. C’était un rectangle de papier coloré, un vieux ticket de bus. Mais pas n’importe lequel ! Le dessin sur le ticket changeait sans cesse. Une minute, c’était un bateau pirate fendant les flots ; la suivante, un château flottant dans les nuages ; puis une fusée filant vers les étoiles.

« C’est le Ticket des Mille Mondes ! » s’exclama Lumi, plus fier que jamais. « Et c’est MOI, le grand et vaillant Lumi, qui en suis le gardien ! Je vais le raconter à tout le monde ! »

Il vola jusqu’à la toile de Madame Octavia, une vieille araignée artiste qui tissait une rosace de fils de soie plus fine que du verre.
« Madame Octavia, Madame Octavia, regardez ! » jacassa Lumi en agitant son ticket. « C’est un lion ! Non, attendez, c’est une carte au trésor ! N’est-ce pas la chose la plus extraordinaire que vous ayez jamais vue ? Bien plus impressionnante que votre toile, n’est-ce pas ? »

Dans son excitation, Lumi souffla une petite bouffée de fumée à la cannelle. La fumée chaude fit claquer l’un des fils maîtres de la toile, qui s’effondra en partie.
« Ma toile ! » s’écria Madame Octavia, le cœur brisé. « Tu l’as ruinée, petit vantard ! »
Lumi se sentit piqué. « Oh, ce n’est rien ! » répondit-il sans réfléchir. « Je suis sûr que vous pouvez la réparer. Mon ticket, lui, est unique ! »

Blessée, Madame Octavia lui tourna le dos. Honteux mais trop orgueilleux pour s’excuser, Lumi décida de partir à l’aventure. Il se glissa par une fissure dans le bois du grand piano. C’était le début de son voyage.

L’intérieur du piano était un monde gigantesque et silencieux. Des cordes d’acier, épaisses comme des troncs d’arbre, s’étendaient au-dessus d’un abîme noir. Au loin, des formes massives se dressaient : c’étaient les marteaux, semblables à des géants de feutre endormis. L’air sentait le bois ancien et le mystère. C’était un royaume épique, digne d’un grand héros comme lui.

« Par mes écailles dorées, quel royaume ! » murmura-t-il, un peu moins sûr de lui.

Il fallait traverser la forêt de cordes pour atteindre l’autre côté. Mais comment ? Il sortit son ticket magique. L’image d’une fusée s’effaça pour laisser place à un plan étrange : une ligne en zigzag qui serpentait entre des piliers. Lumi leva les yeux. Les piliers, c’étaient les marteaux ! Le ticket lui montrait un chemin sûr !

Avec un courage retrouvé, il s’envola. « Moi, Lumi le Navigateur, je défie les Titans de Feutre ! » criait-il pour se donner du courage. Il frôla les cordes qui vibraient doucement, produisant des sons graves et profonds qui résonnaient dans sa poitrine de petit dragon.

Il suivit le chemin du ticket et arriva devant un gouffre immense, là où le clavier s’arrêtait. Impossible de le traverser en volant, le vide était trop grand. Il était piégé.

Pour la première fois de sa vie, Lumi se tut. Dans le silence absolu de ce monde étrange, il se sentit tout petit et seul. Et dans ce silence, il entendit une autre voix, celle de sa conscience. Il revit le visage triste de Madame Octavia et sa magnifique toile abîmée. Il avait été méchant et injuste. Son bavardage orgueilleux avait causé du tort.

Une vraie tristesse le submergea. Il ne voulait plus être un héros épique. Il voulait juste réparer son erreur.
Il regarda son ticket, une larme perlant au coin de son œil. Le dessin changea une dernière fois. Ce n’était plus un plan. C’était l’image d’un fil de lumière, solide et brillant, tendu au-dessus d’un vide.

Lumi comprit. La solution n’était pas de traverser, mais de revenir en arrière.

Faisant demi-tour, il refit le chemin inverse, le cœur battant non plus d’excitation, mais de détermination. Il sortit du piano et trouva Madame Octavia qui tentait péniblement de réparer sa toile.

Lumi se posa doucement devant elle. Il ne cria pas, il ne se vanta pas. Il chuchota :
« Madame Octavia… Je… je suis désolé. J’ai été stupide et orgueilleux. Votre toile était une œuvre d’art, et je l’ai abîmée sans réfléchir. Je vous demande pardon. »

L’araignée le regarda, surprise par son ton calme et sincère. Elle vit que le petit dragon ne mentait pas. Un petit sourire se dessina sur son visage.
« Pardon accepté, petit courant d’air à la cannelle. »

Heureux, Lumi proposa : « Laissez-moi vous aider ! »
Avec sa petite flamme, il chauffa délicatement les extrémités des fils brisés, et Madame Octavia put les reconnecter. Tout en travaillant, Lumi lui raconta son voyage épique à l’intérieur du piano. Mais cette fois, il ne se vantait pas. Il racontait les sons profonds, les géants de feutre et le grand silence. Et pour la première fois, Madame Octavia l’écoutait avec un vrai sourire.

Quand ils eurent fini, la toile était encore plus belle qu’avant. Lumi, le dragon grand comme une souris, avait appris une leçon plus grande que le piano tout entier : le plus grand des courages n’est pas de partir à l’aventure, mais d’avoir la force de revenir pour dire « pardon ».

Il jeta un œil à son ticket de bus. Le dessin ne changeait plus. Il montrait désormais l’image d’un minuscule dragon doré et d’une araignée, tissant ensemble un fil de lumière. C’était la plus belle image de toutes.