Nina et la mélodie de la poussière

Dans le Royaume des Objets Perdus, où les parapluies oubliés rêvent de pluie et les clefs solitaires fredonnent des airs de serrure, tout n’était que rythme et musique. Cling, clang, chantaient les pièces de monnaie en roulant. Frou-frou, bruissaient les mouchoirs en tissu en dansant avec le vent.

Au cœur de ce joyeux bazar vivait Nina, une adorable chaussette rayée rose et jaune. Toujours prête pour une galipette, Nina bondissait de-ci, de-là, avec un entrain communicatif. Hop là ! Flic flac ! Mais Nina avait un secret un peu spécial : elle était terriblement allergique à la poussière. Le moindre petit grain gris la faisait éternuer dans un tonitruant…
« A… A… ATCHOUM-TSS-TSS ! »
… qui faisait trembler les piles de boutons et dévisser les stylos.

Au centre du Royaume trônait le trésor du Roi Bric-à-Brac : le Grand Diapason de Cristal. Il ne servait pas à faire de la musique, non. En vibrant doucement (viiiiiing…), il repoussait la poussière et gardait le Royaume propre et chantant.

Un matin, en jouant à saute-mouton par-dessus une tour de dés à jouer, Nina fit un bond un peu trop audacieux.
Boing, boing, BOIIIING… et PATATRAS !
Elle percuta le Grand Diapason de Cristal. Celui-ci ne se brisa pas, mais bascula et roula, roula, gling-gling-gling, avant de tomber dans le lieu le plus redouté du Royaume : le Gouffre du Grand Oubli, un endroit sombre et rempli… de poussière.

Le cœur de Nina se serra comme un lacet trop tiré. Le silence se fit. Le viiiiiing protecteur avait disparu.
« Oh non, oh non, oh non », murmura-t-elle.
Terrifiée, elle décida de ne rien dire et de récupérer le Diapason toute seule. Mais à peine s’approcha-t-elle du bord du gouffre qu’un nuage gris s’éleva.
« Aaa… tchoum ! »
Impossible d’y descendre !

Déjà, de fins flocons de poussière commençaient à se poser partout. Le cling des pièces devint un plof étouffé. Le frou-frou des mouchoirs se transforma en un triste chhhh. Le Royaume devenait gris et silencieux. C’était bien pire que ce qu’elle avait imaginé !

Les larmes aux rayures, Nina courut jusqu’au trône du Roi Bric-à-Brac.
« Majesté ! J’ai fait une terrible bêtise ! » avoua-t-elle en reniflant.
Le Roi, une vieille fourchette à la moustache d’argent, l’écouta sans la gronder.
« Une erreur avouée est à moitié réparée, ma petite Nina. Mais pour l’autre moitié, il va falloir de l’astuce. »

Le Roi ouvrit un coffret qui sentait le cuir et le soleil. À l’intérieur se trouvaient d’étonnantes lunettes de soleil en forme d’étoiles.
« Voici les Lunettes Sonores, dit le Roi. Elles ne protègent pas du soleil, mais elles permettent d’entendre les pensées des animaux, même les plus minuscules. »

Nina chaussa les lunettes. Le monde devint un peu plus sombre, mais rempli de chuchotements. Elle retourna au bord du Gouffre du Grand Oubli. Là, dans la pénombre poussiéreuse, vivaient les seuls habitants de cet endroit : les Acariens-Trombones, de minuscules créatures qui passaient leur vie à danser dans la poussière.

Grâce aux lunettes, Nina entendit leurs petites voix craintives :
« Oh là là, une géante rayée ! »
« Elle va nous aspirer ! Fuyons ! »
« C’est la fin de notre ballet poussiéreux ! »

Comprenant leur peur, Nina ne cria pas. Elle se mit à chanter doucement, sur un rythme qui rappelait le viiiiiing du Diapason.
« Petits danseurs de la pénombre, n’ayez pas peur de mon ombre. Notre royaume perd sa chanson, aidez-moi à trouver le Diapason ! »

Les Acariens-Trombones s’arrêtèrent. Ils écoutèrent la chanson de Nina.
« Elle ne nous veut pas de mal… » pensa l’un.
« Sa chanson est jolie… » pensa un autre.
« Aider ? Nous ? Mais nous sommes si petits ! » pensa un troisième.

« Vous n’êtes pas petits quand vous êtes ensemble ! » répondit Nina, qui entendait tout. « Si vous unissez vos forces, vous pouvez soulever n’importe quoi ! »

Intrigués et touchés par la confiance de Nina, les milliers d’Acariens-Trombones s’unirent. Ils formèrent un grand nuage vivant, un tapis mouvant et organisé. Hisse et ho, et tous en chœur ! Ils plongèrent, trouvèrent le Diapason de Cristal et, tous ensemble, le firent remonter lentement, comme une bulle de savon qui s’élève.

Gling ! Le Diapason fut déposé juste au pied de Nina.

Vite, vite, elle le rapporta au Roi Bric-à-Brac ! Remis sur son socle, le Diapason se mit à vibrer à nouveau. Viiiiiiing… La poussière recula, chassée par l’onde magique. Les couleurs revinrent, et les sons aussi ! Cling, clang, frou-frou, zip, zoup ! Le Royaume des Objets Perdus chantait de plus belle.

Ce jour-là, Nina la chaussette rayée comprit une chose importante. Même si c’est elle qui avait eu le courage d’avouer et de demander de l’aide, c’est grâce à l’union du Roi, d’elle-même et des tout petits Acariens-Trombones que la musique était revenue. Car même face à une montagne de poussière, l’entraide fait toujours la plus grande des forces.