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Pip et la Graine-Chaufferette
Il était une fois, flottant très haut au-dessus du monde, un pingouin pas comme les autres. Il s’appelait Pip et, contrairement à tous ses cousins de la banquise, il était terriblement frileux. Pour ne rien arranger, il n’habitait pas sur la glace, mais sur un nuage si grand et si majestueux qu’il avait la forme d’une baleine blanche. Pip l’avait baptisé Nuagaleine. C’était une maison douce et cotonneuse, mais pour Pip, elle restait désespérément fraîche. Il passait ses journées emmitouflé dans une écharpe rouge, à grelotter en regardant les oiseaux voler plus bas.
Heureusement, Pip possédait un trésor inestimable : une toute petite graine, pas plus grosse qu’un grain de riz. Ce n’était pas n’importe quelle graine. C’était une Graine-Chaufferette, capable de faire pousser en dix secondes une plante aux feuilles de velours qui dégageaient une douce chaleur. Un jour, alors qu’il s’apprêtait à la planter pour s’offrir un petit nid douillet, un coup de vent farceur souffla plus fort que les autres. Zéphyr, le vent coquin, emporta la graine de sa patte palmée ! Pip la vit rouler et disparaître dans l’épaisseur moelleuse de Nuagaleine. « Oh non ! Ma graine ! » cria-t-il, le bec tremblant de froid et de panique.
Sans perdre une seconde, il se lança à sa recherche. Sa première idée fut de regarder près du « jet d’eau » de Nuagaleine, là où la vapeur d’eau était la plus dense. Il plongea ses pattes dans la brume épaisse, fouillant partout.
« Graine ? Petite graine ? Où es-tu ? »
Une minuscule gouttelette, qui se reposait là, sursauta. « Vous cherchez quelque chose ? » demanda-t-elle d’une voix cristalline.
Pip, frustré et énervé, lui cria dessus : « Évidemment que je cherche quelque chose ! Ma Graine-Chaufferette ! Tu ne l’as pas vue, par hasard ? »
Effrayée par le ton colérique du pingouin, la petite gouttelette trembla si fort qu’elle perdit sa forme et PLOC, elle se fondit à nouveau dans le nuage. Pip se retrouva seul, encore plus froid et sans le moindre indice.
Alors, il courut vers l’autre bout de Nuagaleine, jusqu’à l’immense nageoire caudale qui ondulait lentement dans les courants d’air. « Elle est peut-être tombée ici ! » se dit-il. Il chercha entre les plis duveteux, écartant les flocons de nuage avec de moins en moins de patience. Ne trouvant rien, la colère monta en lui comme une grosse bulle.
« Stupide graine ! Stupide vent ! » gronda-t-il. Et dans sa fureur, il tapa du pied de toutes ses forces.
BOIIIING !
Nuagaleine tout entier se mit à trembler comme un gigantesque flan. Pip perdit l’équilibre et glissa sur le dos, manquant de tomber dans le vide. Pire encore, sa tasse préférée, posée sur un petit cumulus voisin, bascula et chuta dans le grand ciel bleu. Il ne la reverrait jamais.
Pip s’assit lourdement, le cœur gros. Il avait froid, il avait perdu sa tasse, et il n’avait toujours pas retrouvé sa graine. Il sentit une larme chaude couler sur sa joue glacée. C’est à cet instant qu’il comprit. Crier sur la gouttelette l’avait fait fuir. Taper du pied lui avait fait perdre sa tasse. Sa colère n’avait rien arrangé du tout, elle avait tout empiré. « Ça ne sert à rien de s’énerver », murmura-t-il pour lui-même. « Je dois réfléchir. Je dois être doux, comme Nuagaleine. »
Il ferma les yeux, prit une grande inspiration, et imagina être la petite graine. Où irait-il pour être bien caché ? Il ne roulerait pas jusqu’au bout de la queue. Il s’enfoncerait simplement là où le nuage est le plus profond et le plus confortable. Le ventre de la baleine ! Pip se releva, calmement cette fois, et se dirigea vers le centre de Nuagaleine. Au lieu de fouiller brutalement, il tapota doucement la surface cotonneuse. Tap, tap, tap. Soudain, sous sa patte, il sentit quelque chose de minuscule et de dur. Avec une infinie précaution, il écarta les filaments de nuage et la vit. Sa précieuse Graine-Chaufferette était là, blottie dans un creux.
Un immense sourire illumina son visage. Il ne cria pas de joie. Il prit délicatement la graine, choisit un petit coin abrité du vent, et la déposa sur le nuage. Puis il compta à voix haute : « Un… deux… trois… quatre… cinq… six… sept… huit… neuf… et… dix ! »
Sous ses yeux ébahis, une plante magnifique jaillit du nuage. Ses larges feuilles de velours vert et orange se déployèrent et s’enroulèrent autour de lui comme pour lui faire un câlin. Une chaleur douce et réconfortante l’envahit aussitôt. Pip se blottit au cœur de sa plante-chaufferette, enfin au chaud. Il avait non seulement trouvé sa graine grâce à son calme, mais il avait aussi découvert le plus chaud des radiateurs : la sérénité. Et ce soir-là, pour la première fois de sa vie, le petit pingouin frileux s’endormit sans même avoir besoin de son écharpe.

