🎧 Écouter l'histoire :

Pip n’était pas un dragon comme les autres. Grand comme une tasse à thé, ses écailles brillaient comme des émeraudes polies et quand il essayait de cracher du feu, il ne produisait qu’une petite fumée chaude qui sentait le pain grillé. Un jour, en poursuivant un papillon particulièrement distrait, il était tombé dans un trou et avait atterri… ailleurs. Il se trouvait au Royaume des Objets Perdus, un endroit incroyable et un peu triste. Des montagnes de chaussettes orphelines s’élevaient à côté de forêts de stylos sans encre. Des rivières de larmes de poupées oubliées coulaient doucement entre des collines de boutons dépareillés. Pip se sentait très, très perdu.

Alors qu’il reniflait une vieille clé rouillée, un scintillement doré attira son regard. Quelque chose de plat et de brillant flottait doucement depuis le ciel sans nuages pour se poser juste devant lui. C’était un magnifique ticket de bus, doré et lisse, sur lequel était écrit en lettres bouclées : TICKET D’OR - Bus Magique - Un Voyage Retour. Un voyage retour ! C’était sa chance ! Mais où pouvait bien se trouver l’arrêt de ce bus magique ? Il regarda autour de lui, mais ne vit que des piles de jouets cassés et de gants solitaires. Son cœur de petit dragon se serra.

Soudain, il aperçut une forme immense au loin. Une sorte de colline mouvante, sombre et emmêlée, qui semblait respirer. C’était la chose la plus effrayante qu’il ait jamais vue. Pip eut envie de se cacher sous une mitaine trouée, mais le ticket doré dans sa patte lui donnait un peu de courage. S’il voulait rentrer chez lui, il devait demander son chemin. Tremblant de la queue jusqu’au bout de ses petites cornes, il s’approcha. La créature était une masse gigantesque de fils de laine de toutes les couleurs, entrelacés et noués. Elle grondait doucement, un son grave qui faisait vibrer le sol.
« E-excusez-moi ? » couina Pip d’une voix si fine qu’il eut peur qu’on ne l’entende pas.
Le monstre de laine ne bougea pas.
Pip prit une grande inspiration. Il devait essayer autre chose. Il remarqua un fil de laine bleu qui pendait, l’air tout triste. Avec ses petites griffes, il le ramassa délicatement et tenta de le retisser dans la masse.
« Peut-être… peut-être que je peux vous aider ? » proposa-t-il, un peu plus fort cette fois.

Le grondement cessa. Un silence s’installa, puis une voix douce et multiple, comme un chœur de mamies tricotant au coin du feu, s’éleva du cœur de la masse laineuse.
« Oh, mais c’est très gentil à toi, petite flamme. Personne n’a jamais essayé de nous arranger. »
Pip, stupéfait, regarda la créature. Le monstre n’était pas un monstre ! Des dizaines de petits yeux en bouton apparurent dans la laine, le regardant avec bienveillance.
« Nous sommes Tricotin, » expliqua la voix. « Toutes les pelotes de laine, les écharpes et les bonnets perdus. Nous nous sommes emmêlés avec le temps. »
Pip montra son ticket doré. « Je cherche l’arrêt du Bus Magique. Vous savez où il est ? »
Un rire doux et chaud comme une couverture parcourut Tricotin. « Mais bien sûr ! L’arrêt de bus, c’est nous ! Et tu as le ticket pour le Tricoti-Bus ! »

Sous les yeux ébahis de Pip, la masse de laine se métamorphosa. Des fils se tendirent pour former des sièges moelleux, d’autres se tressèrent pour créer un toit confortable. Le monstre effrayant était devenu le plus douillet des autobus. Pip grimpa à bord et présenta fièrement son ticket. Il s’installa sur un siège en cachemire violet, incroyablement doux. Le Tricoti-Bus se mit à glisser en silence à travers le Royaume des Objets Perdus, et Pip comprit qu’il ne fallait jamais se fier aux apparences. La chose la plus effrayante qu’il avait vue était en fait la plus gentille et la plus serviable.

Le voyage fut court et merveilleux. Le bus le déposa en douceur sur le rebord de sa propre fenêtre, juste au moment où le soleil se couchait. Il fit un dernier signe de la patte au Tricoti-Bus qui s’évanouit dans un tourbillon de fils colorés. Pip se blottit sur son coussin préféré. Il était toujours un minuscule dragon, mais il se sentait désormais grand comme une montagne, car il avait appris qu’un cœur courageux et un regard gentil pouvaient démêler tous les problèmes du monde. Et parfois, même transformer un monstre en ami.