Chaussette Rayée et le Miroir Moqueur

Au fond du grand cartable de Léo, dans ce qu’on appelait le « Royaume des Choses Oubliées », vivait une chaussette rayée. Pas deux chaussettes, non, juste une. Elle avait perdu sa jumelle depuis si longtemps qu’elle ne se souvenait même plus si ses propres rayures étaient bleues et blanches ou blanches et bleues. Elle se sentait un peu seule et inutile, roulée en boule entre une montagne de cahiers à moitié finis et un vieux biscuit sec que tout le monde faisait semblant de ne pas voir. La vie était sombre et monotone, éclairée seulement par un minuscule trou dans le tissu du sac, un petit puits de lumière que tous les habitants chérissaient.

Soudain, un matin, tout changea. Le cartable fut secoué si fort que tout le monde dégringola. Quand le calme revint, le petit puits de lumière avait disparu. À sa place se tenait un nouvel objet, un petit miroir de poche carré, qui bloquait complètement le passage des rayons du soleil. Et ce n’était pas n’importe quel miroir ! Dès que quelqu’un s’approchait, il se tordait pour renvoyer une image horrible et se mettait à ricaner. Un taille-crayon courageux s’avança et le miroir lui montra un nez tout tordu et une mine cassée. Une gomme timide essaya de passer et se vit transformée en une flaque rose et dégoulinante. Le Miroir Moqueur gardait toute la lumière pour lui, et personne n’osait plus l’approcher.

Chaussette Rayée, malgré sa solitude, sentit son courage de coton se gonfler. Assez, c’était assez ! Elle prit son élan et se jeta de toutes ses forces contre le miroir. POUF ! Elle rebondit mollement, sans même le faire bouger.
« Ha ha ha ! » sembla glousser le miroir en lui montrant le reflet d’un ver de terre fatigué.
Alors, elle essaya de l’enrouler, de le couvrir avec son tissu rayé pour l’aveugler. Mais elle était trop petite, et le miroir réussit toujours à trouver un angle pour se moquer d’elle. Dépitée, Chaussette Rayée se laissa glisser le long d’une règle en plastique. C’était impossible toute seule.

C’est alors qu’elle entendit une petite voix métallique et précise.
« Analyse de la situation : échec cuisant. Angle d’attaque inefficace. Suggestion : revoir la stratégie. »
La voix venait de sous un gros livre de mathématiques. Chaussette Rayée se faufila et découvrit une vieille boussole en laiton, coincée sous une page.
« Bonjour ! dit la chaussette. Vous êtes qui, vous ?
— Identification : Boussole Précise 3000. Fonction : indiquer le nord et analyser les trajectoires. Coincée depuis l’opération “lancement de sac à dos” de mardi dernier. Pourriez-vous exercer une traction, s’il vous plaît ? »
Avec un peu d’effort, Chaussette Rayée tira de toutes ses mailles et libéra la boussole.
« Merci, dit Boussole Précise. Maintenant, ce miroir. Il est vaniteux et il utilise la lumière contre nous. Mais si on partageait nos talents, on pourrait utiliser la lumière contre lui.
— Partager ? dit Chaussette Rayée. Mais… je ne suis qu’une chaussette molle. Et vous, vous êtes… tout dur et brillant.
— Exactement ! Toi, tu es flexible et élastique. Moi, je suis dense et je peux réfléchir la lumière de manière concentrée. Écoute mon plan… »

Quelques instants plus tard, l’opération « Tourbillon de Lumière » était lancée. Chaussette Rayée s’enroula fermement autour de Boussole Précise.
« Es-tu prête ? » demanda-t-elle.
« Prêt ! Cap au 42 degrés, direction la surface réfléchissante ennemie ! » répondit la boussole.
Chaussette Rayée se tendit comme un élastique, en s’accrochant à une spirale de cahier. Elle visa soigneusement, puis se détendit d’un coup sec ! FLING ! Boussole Précise fut projetée dans les airs, tournant sur elle-même à toute vitesse. En passant sous le puits de lumière, sa coque en laiton poli attrapa chaque rayon et les projeta en des milliers d’éclats scintillants dans toutes les directions. C’était comme une boule à facettes disco ! Le Miroir Moqueur, qui s’attendait à voir une seule cible à ridiculiser, fut bombardé par une centaine de reflets éblouissants. Il essaya de faire une grimace, puis cent, puis mille en même temps. C’était trop pour lui ! Submergé, il bascula en arrière avec un petit CLAC et tomba face contre terre, vaincu et silencieux.

La lumière du jour inonda de nouveau le fond du cartable. Tous les habitants, les crayons, la gomme, le biscuit sec, poussèrent des cris de joie. Chaussette Rayée et Boussole Précise atterrirent doucement sur une page de poésie.
« On a réussi ! » s’écria Chaussette Rayée, encore enroulée autour de son nouvel ami.
« Affirmartif, répondit Boussole Précise. La coopération a un taux de succès de 100% quand les compétences sont partagées. »
Ce jour-là, la chaussette rayée comprit qu’elle n’était pas juste une moitié de paire, mais une aventurière courageuse. Et surtout, qu’un ami complètement différent de soi était le plus grand trésor qu’on puisse trouver, même au fond d’un cartable oublié.