Le soleil matinal de Néo-Lutèce, an 3281, filtrait à travers le vitrail crasseux du grenier qui servait de bureau au détective privé Archibald Vane. La lumière découpait des formes dans la poussière flottante, illuminant un chaos de rouages, de schémas techniques froissés et d’une impressionnante collection de tasses de thé vides, chacune marquant une étape différente de la procrastination.
Archibald, affalé dans son fauteuil en cuir usé, grogna. Son bras droit mécanique, une merveille de cuivre et de pistons, tapotait avec impatience une petite sphère métallique qui refusait de s’ouvrir. Son monocle technologique, fixé sur son œil gauche, clignotait, affichant des diagnostics qu’il ignorait superbement.
« Monsieur Vane », couina une petite voix métallique. « La stagnation est l’ennemie du mécanisme. Peut-être qu’une application de lubrifiant de grade 3 et une réinitialisation des protocoles de propreté environnants pourraient aider à la résolution du problème ? »
Roby, son assistant robotique, lustrait le pied d’une lampe à gaz avec une obsession quasi-religieuse. Sa forme de théière sur pattes se dandinait au rythme de son chiffon. Archibald soupira.
« Roby, si je voulais l’avis d’une bouilloire, je mettrais de l’eau à chauffer. Apporte-moi un Earl Grey. Et ne touche pas à cette pile de dossiers, c’est un système de classement. Par entropie. »
Avant que Roby ne puisse protester au nom de l’ordre et de l’hygiène, on frappa à la porte. Un coup sec, autoritaire, qui ne correspondait pas aux clients habituels d’Archibald – généralement des artisans floués ou des maris suspicieux des bas-fonds.
Roby alla ouvrir. Sur le seuil se tenait une silhouette qui semblait avoir aspiré toute la lumière et la poussière de la pièce. Grande, droite, vêtue d’une robe victorienne d’un noir profond, son visage était dissimulé derrière un masque de porcelaine lisse et sans expression. Seuls deux trous sombres trahissaient un regard.
« J’ai besoin des services d’Archibald Vane », déclara une voix de femme, froide comme le métal de la Tour Eiffel à Vapeur en hiver.
Archibald ne se leva pas. Il fit pivoter son fauteuil, son monocle zoomant sur la nouvelle venue. « Ça dépend. Si c’est pour retrouver un caniche primé ou un héritage perdu, je suis complet pour le siècle à venir. »
La femme ignora son sarcasme et s’avança dans la pièce, naviguant dans le désordre avec une grâce calculée. « Je suis la Duchesse de Chrome. Et mon problème est d’une nature plus… délicate. On a volé mon chat. »
Un silence. Roby laissa tomber son plumeau avec un petit ‘clang’.
Archibald haussa un sourcil. « Un chat. Madame la Duchesse, mes compétences sont uniques, mais elles ne couvrent pas les escapades félines. Essayez la fourrière. »
« Mon chat, ‘Saphir’, n’est pas un animal, Vane », rétorqua la Duchesse, sa voix se durcissant. « C’est un automate de précision. Et dans sa mémoire de cristal se trouvent les schémas d’accès et les codes de régulation de tous les conduits d’Aether privés de la haute-ville. S’ils tombent entre de mauvaises mains… »
L’intérêt d’Archibald fut soudainement piqué. L’Aether était le sang énergétique de Néo-Lutèce. Contrôler ses flux, c’était tenir la ville en otage.
« Un Gentleman-Cambrioleur, sans doute », marmonna-t-il, se penchant en avant. « Un travail propre ? »
« Impeccable. Pas une porte forcée. Juste… un objet manquant. J’ai trouvé ceci sur le socle où il reposait. »
De sa main gantée, elle déposa sur le bureau un minuscule rouage, sale et couvert d’une sorte de boue verdâtre. Il ne ressemblait à aucun des mécanismes raffinés que l’on trouvait dans les quartiers supérieurs.
Archibald activa la pleine puissance de son monocle. Une lumière bleue scanna l’objet, projetant un hologramme complexe dans l’air. Des données défilèrent : ‘Alliage Fer-Cuivre de basse qualité… Traces de sulfure d’hydrogène… Corrosion organique… Origine probable : Tunnels de maintenance inférieurs, secteur 7.’
« Les Égouts de Vapeur », conclut Archibald à voix haute.
Il se redressa, l’ennui de la matinée complètement dissipé. Une piste. Une vraie. Une descente dans les entrailles de la cité.
« Très bien, Duchesse. J’accepte l’affaire. Mes honoraires sont exorbitants et payables d’avance. Roby vous fera la facture. »
La Duchesse hocha la tête, impassible. « Trouvez Saphir. C’est tout ce qui m’importe. La discrétion est impérative. » Sur ces mots, elle tourna les talons et quitta le bureau, laissant derrière elle un parfum de métal froid et d’autorité.
Archibald se leva enfin et attrapa son long manteau élimé suspendu à un portemanteau fait de tuyaux de cuivre. Son bras mécanique émit un sifflement satisfait.
« Roby ! On sort. Prends ton kit de polissage d’urgence. J’ai le sentiment qu’on va en avoir besoin. »
L’automate sursauta, son unique œil-lentille s’élargissant de panique à l’idée de la saleté à venir, mais il trottina aussitôt derrière son maître. « Tout de suite, Monsieur Vane ! Protocole anti-rouille activé ! »
Ensemble, le détective cynique et la théière asthmatique descendirent du grenier, plongeant dans les profondeurs de Néo-Lutèce à la poursuite d’un chat mécanique et d’un complot naissant.
