L’entrée des Égouts de Vapeur était une bouche de bronze béante, dissimulée derrière une fausse fontaine dans une ruelle oubliée des bas-quartiers. Un courant d’air chaud et humide, chargé d’une odeur de métal mouillé et d’ozone, s’en échappait en un sifflement continu.
« Monsieur Vane, êtes-vous absolument certain ? » demanda Roby, ses petites pattes trépignant sur le pavé. « Mes capteurs indiquent un taux d’humidité de 98%, une menace de corrosion de niveau maximal ! Mon revêtement en laiton poli ne va jamais s’en remettre ! »
« C’est le prix de l’aventure, mon cher accumulateur », rétorqua Archibald en ajustant son monocle. « La piste du rouage est formelle. Notre Gentleman-Cambrioleur est passé par ici. Reste derrière moi et essaie de ne pas te noyer dans une flaque. »
Ils descendirent une échelle en colimaçon qui plongeait dans les entrailles de Néo-Lutèce. Le décor changea radicalement. Ce n’était pas un cloaque sombre, mais un labyrinthe vertigineux de tuyaux monumentaux, certains aussi larges qu’une avenue. De la vapeur s’échappait de joints usés, créant des nuages mouvants. L’éclairage, surprenant, provenait de larges colonies de champignons phosphorescents qui poussaient sur les parois, baignant le tunnel d’une lueur bleue et verte, vive et presque féerique.
« Fascinant », murmura Archibald, son monocle analysant les spores lumineuses. « Une symbiose entre la moisissure et les émanations d’Aether résiduel. »
« C’est surtout de la saleté, Monsieur Vane. De la saleté qui brille », se lamenta Roby, qui tentait de se déplacer sans que ses pieds ne touchent les zones les plus humides.
Archibald suivait une piste invisible pour le commun des mortels. Son œil amélioré détectait de minuscules gouttelettes d’un lubrifiant non standardisé et de légères éraflures sur le cuivre des canalisations. « Il a traîné quelque chose de lourd. Probablement le chat automate. Il est pressé, il ne fait pas attention. »
Ils débouchèrent dans une vaste caverne de jonction, un carrefour de tuyauteries où le bruit de l’eau et de la vapeur devenait assourdissant. Au centre de la salle, une grande grille de maintenance donnait sur des profondeurs encore plus abyssales.
C’est alors qu’un bruit nouveau se fit entendre. Un cliquetis. Un grattement métallique, multiplié par dix, puis vingt.
Des ombres se détachèrent des recoins. Des automates grossiers, assemblés à la hâte avec des morceaux de ferraille, de la taille de gros chiens. Leurs silhouettes rappelaient celles de rats, avec des yeux constitués de lentilles rouges et ardentes. Ils avançaient en meute, leurs mâchoires de métal s’ouvrant et se fermant dans un claquement sinistre.
« Ah », fit Archibald, sans la moindre panique. « Un comité d’accueil. On dirait que notre voleur n’aime pas être suivi. »
« Protocole de défense ! Protocole de panique ! Protocole ‘il faut tout nettoyer’ ! » s’écria Roby en tournant sur lui-même.
Le premier rat automate bondit. Archibald ne bougea pas d’un pouce. Au dernier moment, son bras droit mécanique jaillit, attrapant la créature au vol par le cou. Les pistons sifflèrent, les doigts de cuivre se resserrèrent, et le mécanisme du rat fut broyé dans un bruit de ferraille froissée. L’automate désactivé s’écrasa au sol, ses yeux rouges s’éteignant.
Mais les autres arrivaient. Archibald se mit en garde, utilisant son bras comme un bouclier et une arme, parant les attaques, repoussant les assaillants contre les murs. Il était efficace, précis, mais submergé par le nombre.
« Roby ! Une diversion ! » hurla-t-il.
L’assistant robotique, dans sa panique, fit ce qu’il faisait de mieux. Il activa son pulvérisateur d’urgence, normalement rempli de cire de polissage. Un jet puissant et huileux aspergea le sol devant la horde de rats. Les automates, lancés à pleine vitesse, perdirent toute traction. Ce fut une réaction en chaîne de glissades, de collisions et de chutes chaotiques dans un fracas de métal.
Archibald profita de la confusion pour neutraliser les quelques rats encore menaçants. Bientôt, le silence retomba, seulement troublé par les sifflements de la vapeur et les gémissements d’un robot-théière traumatisé.
Le détective s’approcha d’un des automates neutralisés. Il n’était pas sophistiqué, mais robuste. Et sur son flanc, une marque avait été gravée dans le métal rouillé. Un symbole simple et brutal : un nuage de fumée noire, au centre duquel était imbriqué un rouage aux dents acérées.
Le monocle d’Archibald zooma, enregistra, analysa. Aucune correspondance dans les registres officiels. C’était un emblème de guilde clandestine, un logo de factieux.
« Les Vapeurs Noires… », lut-il à voix haute. Le nom lui vint instinctivement. C’était plus qu’un vol maintenant. C’était une déclaration.
Il se tourna vers la grille centrale, d’où la piste de lubrifiant semblait continuer. « En route, Roby. L’affaire vient de prendre une toute autre tournure. Et je crois savoir où ces ‘Vapeurs Noires’ ont emmené notre chat. »
