De retour dans le grenier, Archibald Vane sentait le poids de la civilisation sur ses épaules, ou du moins, l’odeur persistante des Égouts de Vapeur sur son manteau. Roby, en revanche, était en état d’alerte maximale. L’automate, habituellement si calme, s’agitait comme une toupie, un pulvérisateur dans une pince, un chiffon dans l’autre, menant une guerre sainte contre la contamination rapportée des profondeurs.
« Protocole de décontamination de niveau 4 engagé ! Monsieur Vane, je vous prierais de rester sur le paillasson de quarantaine ! Vos semelles présentent des traces de 17 types de moisissures non répertoriées ! »
Archibald l’ignora superbement, traversant la pièce pour s’arrêter devant une immense carte murale de Néo-Lutèce. C’était un chef-d’œuvre de cartographie, une coupe transversale de la ville verticale, des bas-fonds brumeux jusqu’aux flèches dorées de la haute-ville.
« Les Vapeurs Noires… », marmonna-t-il pour lui-même, son monocle projetant l’image du logo qu’il avait enregistré : le nuage de fumée et le rouage acéré. « Ce n’est pas un nom de Gentleman-Cambrioleur. C’est un manifeste. Ce n’est pas un vol, c’est un acte politique. »
Il se tourna vers ses archives, un mur de tiroirs en bois sombre, chacun portant une étiquette cryptique. Il en ouvrit un intitulé « Utopistes et Saboteurs ». Des fiches jaunies et des coupures de vapo-journaux s’en déversèrent. Pendant une heure, le seul bruit dans le bureau fut le froissement du papier et les bips discrets du monocle d’Archibald recoupant les informations, ponctués par les ‘pschitt’ frénétiques de Roby et ses lamentations sur l’intégrité du laiton.
« J’y suis ! », s’exclama soudain Archibald. Il brandit une fiche. « ‘Les Vapeurs Noires’. Un groupuscule anarchiste du siècle dernier. Ils croyaient que la technologie de l’Aether et la dépendance à la Grande Horloge avaient asservi la population. Ils voulaient un retour à ‘un état plus naturel’. Comprendre : le chaos. Ils ont été démantelés après une tentative de sabotage ratée sur les aqueducs. »
« Des individus peu soucieux de l’ordre et de la propreté, si vous voulez mon avis », commenta Roby en faisant briller une tache sur le parquet.
« Précisément. Mais le logo… il est légèrement différent. Plus agressif. Une nouvelle génération, sans doute. Plus radicale. » Archibald commença à faire les cent pas, son bras mécanique vrombrissant doucement. « Mettez-vous à leur place. Vous avez les codes d’accès à tous les conduits d’Aether privés grâce au chat de la Duchesse. Qu’est-ce que vous faites ? Perturber l’approvisionnement des quartiers riches ? C’est petit. C’est mesquin. Ce n’est pas à la hauteur d’un manifeste. »
Il s’arrêta net, son regard fixé sur la carte murale. Son monocle traça des lignes bleutées, superposant le réseau des conduits d’Aether sur la structure de la ville. Tous les conduits, publics ou privés, convergeaient vers un seul point névralgique.
« Ils ne veulent pas couper quelques robinets, Roby. Ils veulent empoisonner le puits. »
Son doigt de cuivre se posa sur le cœur battant de Néo-Lutèce, le bâtiment le plus haut, le plus emblématique.
« La Tour Eiffel à Vapeur », souffla-t-il. « C’est la génératrice principale. C’est elle qui pompe l’Aether brut des profondeurs et le distribue. C’est elle qui alimente la Grande Horloge qui régule la vie de toute la cité. Si vous la neutralisez… vous n’arrêtez pas seulement les lumières et les automates de la haute-ville. Vous arrêtez le temps lui-même. Vous plongez Néo-Lutèce dans le silence et l’obscurité. »
Le puzzle était complet. Le vol du chat, les codes, l’embuscade dans les égouts… tout menait à cette tour de métal et de vapeur. Les Vapeurs Noires ne voulaient pas un rançon, ils voulaient un symbole. La chute de l’icône de la ville.
« Monsieur Vane… », dit Roby, sa petite voix tremblante, ayant pour une fois abandonné son nettoyage. « Cela semble… excessivement dangereux. Ne devrions-nous pas contacter la milice ? La bureaucratie, comme vous dites ? »
Archibald secoua la tête, un sourire cynique aux lèvres. « Le temps qu’ils remplissent le formulaire A-38, la tour sera déjà un tas de ferraille fumant. Et puis, la Duchesse a exigé la discrétion. Non. Nous allons les prendre de vitesse. »
Il attrapa un jeu de plans techniques sur une étagère. « Plan d’infiltration de la Tour Eiffel à Vapeur, édition 3275. Quelques modifications depuis, mais la structure de base est la même. » Il le déroula sur son bureau, révélant un diagramme incroyablement complexe de conduits, de passerelles et de salles des machines.
« Prépare le matériel d’escalade et tes circuits de diagnostic les plus fins, Roby. Ce soir, nous grimpons. »
