L’intérieur de la Tour Eiffel à Vapeur était une symphonie mécanique assourdissante. Des pistons de la taille d’un homme martelaient un rythme implacable, des engrenages géants s’emboîtaient avec la précision d’une montre suisse, et des rivières d’Aether liquide et lumineux coulaient dans des tuyaux de verre blindé, pulsant d’une énergie bleuâtre. Le tout était baigné dans la lumière vive des lampes à arc et enveloppé de volutes de vapeur chaude.

« Suivez les conduits de diagnostic principaux, » hurla Archibald pour couvrir le vacarme, son monocle surlignant un chemin en surbrillance sur une passerelle métallique. « Ils doivent mener directement à la salle de contrôle de la Grande Horloge. »

Roby trottinait derrière lui, ses capteurs en surcharge. « Monsieur Vane, la chaleur ambiante est critique ! Je suis à 97% de ma capacité de refroidissement ! Mes circuits logiques risquent le bouillonnement ! »

« Conserve ton énergie, Roby. On approche. Les Vapeurs Noires ne peuvent pas être loin. Ils ont dû laisser des traces… ou des pièges. »

Comme pour confirmer ses dires, ils arrivèrent à un étranglement. La passerelle qu’ils suivaient avait été sabotée. Une section de plusieurs mètres avait été arrachée, laissant un vide béant au-dessus d’une chambre de combustion rugissante, des dizaines de mètres plus bas. De l’autre côté, une porte blindée, sans doute celle de la salle de contrôle.

« Un obstacle rudimentaire, » analysa Archibald. Il leva son bras mécanique. « Mais pas pour nous. »

Son bras s’allongea, les doigts de cuivre se préparant à s’agripper à une poutre métallique au-dessus du vide pour leur permettre de franchir l’obstacle. C’est à ce moment qu’un sifflement strident se fit entendre.

Un jet de vapeur surchauffée, d’une blancheur aveuglante, jaillit d’un tuyau sectionné juste à côté de la poutre – un piège évident. Archibald eut à peine le temps de se rétracter, mais son bras droit était déjà engagé. Le membre de cuivre et de laiton fut englouti par le jet brûlant.

Archibald poussa un cri de douleur et de frustration, non pas de chair, mais de machine. Il tomba à genoux sur la passerelle, son bras mécanique retombant lourdement à son côté, complètement hors d’usage. Le cuivre était tordu et noirci, des fils pendaient lamentablement, et des arcs électriques crépitaient entre les articulations disloquées. De la vapeur s’échappait de l’épaule de l’automate, comme s’il saignait.

« Bras droit non fonctionnel. Surchauffe critique du servomoteur principal. Multiples ruptures de circuits, » récita son monocle d’un ton monocorde. Le bras était mort.

« Monsieur Vane ! » s’écria Roby, se précipitant à ses côtés. « Vos diagnostics sont… catastrophiques ! Nous devons battre en retraite ! »

« Impossible ! » grogna Archibald en essayant de se relever avec sa seule main valide. « Ils sont de l’autre côté. On peut les entendre. Ils sont en train de surcharger l’Horloge. »

En effet, au-delà de la porte blindée, on percevait des bruits de martèlements et des cris de triomphe. Le rythme constant de la tour commençait à devenir erratique, comme un cœur en pleine arythmie.

Archibald regarda le vide infranchissable, puis son bras inutile. Pour la première fois, la rage et l’impuissance se lisaient sur son visage. Il était coincé.

« Alors… tout est perdu, » dit Roby, sa voix habituellement si enjouée empreinte d’un désespoir métallique.

Le regard d’Archibald se posa sur son petit assistant. Une idée folle, désespérée, germa dans son esprit. « Non. Pas tout à fait. »

Il attrapa le sac à dos de Roby et en sortit une bobine de câble et une interface de données universelle. « Roby, écoute-moi très attentivement. Tu es le seul à pouvoir y aller. »

« Moi ? Mais Monsieur Vane, je ne suis qu’une unité d’assistance et de nettoyage ! Je ne suis pas… vous ! »

« Tu es petit, léger, et tes circuits de diagnostic sont plus avancés que ceux de la milice entière. » Archibald attacha l’extrémité du câble au harnais de Roby. « Je vais t’envoyer de l’autre côté en te balançant. Une fois là-bas, tu devras ouvrir cette porte de l’intérieur. Les codes sont des variations du protocole de maintenance standard. Tu peux les craquer. Ensuite, tu devras atteindre la Grande Horloge elle-même. »

Le détective lui tendit l’interface. « Ils ont dû brancher un mécanisme de surcharge. Tu le trouveras. Il sera grossier, étranger au système. Tu devras déconnecter leur appareil et te brancher toi-même pour lancer une réinitialisation d’urgence. Tu comprends ? »

Roby regarda le vide, puis la porte, puis le visage grave de son maître. Toute sa programmation hurlait à l’impossible. Mais en voyant Archibald, son héros, blessé et comptant sur lui, une nouvelle directive s’imposa. Le protocole de loyauté.

« Je… je comprends, Monsieur Vane. Protocole ‘Prendre le relais’ activé. »

« Bien. » Archibald serra fermement le câble avec sa main valide. « Prépare-toi. Et Roby… ne me déçois pas. »