Avec une force qu’il ne se connaissait pas, Archibald utilisa sa main valide pour faire tournoyer la bobine de câble. Roby, les yeux-lentilles fermés, fut projeté au-dessus du vide rugissant. Il atterrit avec un ‘clang’ maladroit mais solide sur la passerelle de l’autre côté. Sans une seconde d’hésitation, le petit automate se mit au travail, ses pinces agiles dansant sur le panneau de contrôle de la porte blindée.

De son côté, Archibald regardait la traversée avec un mélange de fierté et d’angoisse. Il ne pouvait pas rester en arrière. Grinçant des dents, il enroula le câble autour de son avant-bras valide et, dans un effort herculéen, commença à se tracter à travers le gouffre, son corps se balançant dangereusement au-dessus de la chambre de combustion.

La porte s’ouvrit juste au moment où le premier membre des Vapeurs Noires aperçut Roby. C’était un homme trapu avec une barbe en désordre et des lunettes de soudeur. Il éclata de rire. « Regardez-moi ça ! Leur grand plan de secours, c’est une théière ! »

La salle de la Grande Horloge était un spectacle à couper le souffle. Un dôme de verre laissait voir le ciel nocturne de Néo-Lutèce. Au centre, un pendule de la taille d’une locomotive se balançait majestueusement. Le mécanisme de l’horloge, un univers de rouages d’or et de laiton, occupait toute la pièce. Mais ce spectacle était souillé. Un appareil grossier, un assemblage hétéroclite de bobines et de condensateurs rouillés, était branché de force au cœur du mécanisme, le faisant hoqueter. Des lumières d’alerte rouges clignotaient partout.

Trois membres des Vapeurs Noires étaient là, dont leur chef, une femme au visage dur qui consultait un chronomètre. « Plus que trente secondes avant la surcharge en cascade ! Adieu, l’ère de l’Horloge ! »

Ignorant les moqueries, Roby fila entre leurs jambes. Son unique objectif : l’appareil parasite. Il était petit, rapide, et personne ne s’attendait à ce qu’une ’théière’ puisse représenter une menace.

C’est à ce moment qu’Archibald fit son entrée, atterrissant lourdement sur la passerelle. Son bras mécanique pendait, inutile, mais son regard était de fer. « Fin de la récréation, les anarchistes du dimanche. La fête est finie. »

Sa présence créa la diversion parfaite. Deux des saboteurs se tournèrent vers lui, surpris. « Il est seul et blessé ! Attrapez-le ! »

Pendant qu’Archibald esquivait et parait gauchement leurs attaques, utilisant son poids et son agilité pour les tenir à distance, Roby atteignit sa cible. Avec une précision chirurgicale, ses pinces sectionnèrent les câbles de l’appareil de sabotage. Un cri de frustration s’éleva de la cheffe des Vapeurs Noires.

« Non ! Arrêtez-le ! »

Mais il était trop tard. Roby éjecta le connecteur pirate et, prenant son courage métallique à deux pinces, brancha sa propre interface de diagnostic dans le port béant.

Une vague d’énergie pure le submergea. Ses circuits internes hurlèrent. Des données corrompues, des virus logiques plantés par les saboteurs, tentèrent d’envahir son système. Mais la programmation de Roby, obsédée par l’ordre et la propreté, se comporta comme le plus puissant des antivirus. Il purgea, nettoya, réaligna les protocoles. Une gerbe de vapeur pure et triomphante jaillit de son bec, un cri de victoire silencieux.

Dans la salle, le gigantesque pendule, qui avait ralenti jusqu’à un quasi-arrêt, hésita une dernière seconde, suspendu entre la vie et la mort. Puis, avec un ‘CLANG’ monumental qui résonna dans toute la tour, il reprit son mouvement ample et régulier. Les lumières rouges s’éteignirent, remplacées par une lueur bleue apaisante. La Grande Horloge était sauvée.

Le triomphe des Vapeurs Noires se mua en stupeur. Profitant de leur distraction, Archibald fit un croc-en-jambe au premier et envoya le second s’emmêler dans un tas de câbles. La cheffe, voyant sa cause perdue, tenta de fuir, mais se retrouva face à un Roby fumant, qui lui bloquait le passage avec une détermination nouvelle.


Une semaine plus tard, le bureau d’Archibald était méconnaissable. Il était impeccablement propre. Le soleil filtrait à travers un vitrail étincelant. Le bras mécanique d’Archibald, bandé de cuir et de laiton neuf, reposait en écharpe, en cours de réparation par un automate-chirurgien spécialisé.

Sur une étagère, le Chat Mécanique Saphir, légèrement roussi mais fonctionnel, était assis, ses yeux de cristal brillant d’un éclat satisfait. La Duchesse avait payé rubis sur l’ongle, sans un mot de remerciement, ce qui convenait parfaitement à Archibald.

Roby s’approcha du bureau. Il posa délicatement une tasse de thé Earl Grey fumant à côté de la main valide de son maître.

Archibald prit une gorgée. Le silence se prolongea, confortable. Finalement, le détective regarda le petit automate qui lustrait déjà la tasse qu’il venait de poser.

« Pas mal, » dit Archibald, sa voix rauque habituelle contenant une inflexion inhabituelle. « Pas mal du tout… pour une bouilloire. »

Roby s’arrêta, son œil-lentille se tournant vers son maître. Il y eut un petit bruit de mécanisme, presque un ronronnement de satisfaction. « C’est le protocole, Monsieur Vane. Le protocole de maintien de l’ordre. Tout doit être à sa place. »

Archibald esquissa un rare sourire. Il leva sa tasse. « À l’ordre, alors. »