Épisode 8 : Le Visiteur
Le déclic métallique a figé le sang dans mes veines. Ce n’était pas le bruit sec d’un verrou qu’on tire, mais le glissement lent et huilé d’un mécanisme de haute sécurité. Le son de quelqu’un qui prend son temps. Le son d’un prédateur qui sait que sa proie est piégée.
Ma respiration s’est bloquée dans ma poitrine. Instinctivement, j’ai serré les poings, un réflexe absurde. Mes notions de karaté apprises au club municipal me semblaient aussi utiles qu’un parapluie dans un ouragan face à ce qui allait franchir cette porte. J’ai reculé jusqu’à ce que mon dos heurte le mur froid, ma cheville blessée protestant par une pulsation douloureuse. La porte a pivoté vers l’intérieur, sans un grincement.
Le Colosse.
Il se tenait dans l’embrasure, une montagne de muscles et de silence qui absorbait la lumière du couloir. Il n’avait plus sa veste, seulement un t-shirt noir tendu sur un torse si large qu’il semblait déformer la perspective. Le tatouage de scorpion sur son avant-bras semblait onduler sous la faible lumière. Il tenait un plateau en métal d’une seule main, comme s’il s’agissait d’une feuille de papier.
Il est entré et a refermé la porte derrière lui. Le clac du verrou magnétique a sonné comme une condamnation à perpétuité. Mon cœur battait un rythme si frénétique que j’avais peur qu’il ne l’entende. Règle numéro un du guide du parfait petit otage (que je venais d’inventer) : ne pas montrer sa peur. J’ai lamentablement échoué dès la première seconde.
Sans un mot, il s’est approché et a posé le plateau sur le sol en béton, à mi-chemin entre nous. Une bouteille d’eau en plastique, sans étiquette. Un morceau de pain grisâtre. Le repas du condamné. Il s’est redressé de toute sa hauteur et m’a fixé. Ses yeux étaient de petits éclats de glace dans un visage buriné.
« Mange », a-t-il ordonné. Sa voix était un grondement sourd, comme des pierres qui roulent au fond d’un ravin.
Je n’ai pas bougé. Mon estomac était un nœud de serpents. L’idée même d’avaler quoi que ce soit me donnait la nausée.
« Je n’ai pas faim. » Ma propre voix m’a paru faible, presque enfantine.
Un rictus a déformé sa bouche. « Ce n’était pas une question. »
Il a fait un pas vers moi. J’ai essayé de me concentrer, d’analyser, de transformer la panique en données. Mon cerveau s’est mis en mode observation, mon seul mécanisme de défense viable.
- L’homme est fatigué. De fines cernes sont visibles sous ses yeux. Ses épaules, bien que massives, sont légèrement affaissées. Il n’a pas dormi depuis un moment. La traque, la capture, la surveillance… ça use même les armoires à glace.
- Aucune technologie visible. Pas d’oreillette, pas de montre connectée. Soit il est low-tech, soit tout est caché. Ou alors, il n’est qu’un exécutant, un simple pion qui n’a pas besoin d’être connecté en permanence au QG.
- L’odeur. Un mélange de sueur froide, de tissu synthétique et… d’antiseptique ? Une odeur âcre et chimique. Il s’est nettoyé les mains récemment. Ou autre chose.
- Le regard. Il n’y a pas de plaisir sadique dans ses yeux. Juste une lassitude professionnelle. Pour lui, je suis un colis. Un problème à gérer. C’est presque plus terrifiant.
« Tu t’appelles Max, » a-t-il continué, comme pour confirmer un fait. Ce n’était toujours pas une question. Il savait qui j’étais. La panique est revenue, brûlante.
« Vous connaissez mon nom. Je devrais connaître le vôtre ? » ai-je tenté, l’ironie comme un bouclier de fortune.
Il a eu un léger temps de réaction, surpris par ma question. « Boris. »
Boris. Le Colosse avait un nom. Un nom banal, presque décevant. C’était une information. Une minuscule pièce du puzzle, mais une pièce quand même.
« Boris, » ai-je répété doucement. « Qu’est-ce que vous voulez ? Mon oncle… »
« Ton oncle est un imbécile, » m’a-t-il coupé net. « Il a cru nous doubler. Mais il a fait une erreur. Et toi aussi. »
« Je n’ai rien fait, » ai-je protesté, la voix plus assurée. « Je ne sais même pas de quoi il s’agit. »
Boris a lentement secoué la tête, un sourire mauvais étirant ses lèvres. « Tu es le neveu de Pierre Dubois. Tu étais à la Foire du Trône. Tu l’as suivi dans la Maison Hantée. Tu crois qu’on est des amateurs ? »
Chaque phrase était un clou planté dans mon cercueil. Ils avaient tout vu. Mon plan pathétique, mon intervention ratée… tout. J’étais exposé, vulnérable.
Il s’est accroupi pour ramasser le plateau et l’a poussé vers moi avec son pied. « Mange. Volkov n’aime pas que la marchandise soit abîmée. »
Volkov. Le nom que Léa avait prononcé. Anton Volkov. Le voilà, le grand méchant loup. Et moi, j’étais le petit Chaperon Rouge, sa “marchandise”. Monnaie d’échange. Mon estomac s’est retourné.
« Je ne sais rien, » ai-je insisté. « Je vous le jure. L’enveloppe, je ne sais même pas ce qu’il y a dedans. »
À la mention de l’enveloppe, son expression a changé. La lassitude a disparu, remplacée par une lueur d’une intensité féroce. Il a laissé tomber le plateau, qui a heurté le sol avec un fracas métallique. Il a traversé la pièce en deux enjambées et m’a attrapé par le col de mon t-shirt, me soulevant sans effort jusqu’à ce que la pointe de mes pieds touche à peine le sol. Mon dos a cogné violemment contre le mur. La douleur dans ma cheville a explosé.
Son visage était à quelques centimètres du mien. L’odeur d’antiseptique était plus forte. Je pouvais voir chaque pore de sa peau, chaque éclat de colère dans ses yeux.
« L’enveloppe ? » a-t-il sifflé, son haleine sentant le café froid. « L’enveloppe de ton oncle est une copie. Un leurre. Une insulte. »
Sa poigne s’est resserrée, coupant ma respiration.
« Alors je te le demande une seule fois, Max. Avant que je perde patience et que je m’occupe de ta cheville valide. » Il a baissé les yeux vers ma jambe saine, puis les a replongés dans les miens. « Où est l’original ? »
