Épisode 9 : L’Original
Le mur était froid et granuleux dans mon dos, chaque aspérité du béton s’imprimant dans mes omoplates. L’odeur de Boris — un mélange âcre de sueur, de tabac froid et de quelque chose de métallique, comme le sang — me suffoquait. Sa prise sur le col de mon sweat-shirt me coupait la respiration, mes pieds décollant à peine du sol. Ses yeux, deux petits éclats de fureur dans cette masse de muscles, me fixaient.
« Pour la dernière fois, le gamin. Où est l’original ? »
Sa voix était un grondement sourd, le genre de son qui fait vibrer les os. J’essayais de reprendre mon souffle, ma gorge sèche produisant un sifflement pathétique. La panique était une vague glaciale qui menaçait de me noyer. Mais sous la terreur, mon esprit, ce traître, s’était mis au travail. Il analysait, disséquait, cherchait une issue là où il n’y en avait pas.
« Je… je ne sais pas, » réussis-je à articuler, les mots écorchant ma gorge. « Je ne sais même pas ce que c’est ! »
La vérité. La vérité la plus absolue et la plus inutile de toute ma vie. Pour un homme comme Boris, la vérité sans l’information qu’il désire n’est qu’une forme de mensonge.
Sa prise se resserra. « Ton oncle. Pierre. Il a récupéré une enveloppe à la Foire du Trône. Mais c’était une copie. Un leurre. Nous, on veut l’original. Et tu vas me dire où il est. »
Une copie. Un leurre. Les mots résonnèrent dans le chaos de mes pensées, et soudain, une clarté terrible s’imposa. Mon cerveau, comme pour se protéger du poing qui allait certainement suivre, se mit à lister les faits, froids et implacables.
- Pierre a récupéré une enveloppe sur le stand de tir. C’est un fait. Je l’ai vu.
- Boris affirme que cette enveloppe est une copie sans valeur. Il semble sincère dans sa frustration.
- Il cherche un « original » que cette copie était censée représenter.
- Conclusion : Mon oncle n’est pas tombé dans un piège. Il n’a pas été assez stupide pour se faire berner par un échange raté. Il a sciemment récupéré un leurre.
La réalisation me frappa avec plus de force que le mur dans mon dos. Ce n’était pas une simple embuscade. C’était une manœuvre de diversion. Pierre s’était transformé en cible pour détourner l’attention de la vraie. De l’original. Et si je comprenais bien la logique tordue de l’espionnage, ça voulait dire qu’au même moment, quelqu’un d’autre mettait la main sur le véritable objet. Pierre s’était sacrifié.
« Tu crois que je suis idiot ? » gronda Boris, me secouant comme un prunier. Ma tête heurta le mur. Des étoiles dansèrent devant mes yeux. « Volkov a été clair. Le neveu est la clé. Tu parles, ou je te brise en deux. On commence par la cheville qui te fait déjà mal ? »
Il avait remarqué. Bien sûr qu’il avait remarqué. Ces gens remarquaient tout. Mon esprit s’emballa. Le nier était inutile. Argumenter physiquement était suicidaire. Il ne me restait qu’une seule arme : la faiblesse. La mienne.
« Attendez ! » criai-je, la voix brisée. « Mon oncle… Il ne me dit jamais rien ! Jamais ! »
Le désespoir dans ma voix n’était même pas feint.
« Il me traite comme un gamin. Je dois rentrer avant minuit, je dois faire mes devoirs, il vérifie que je mange mes légumes ! Vous croyez qu’un type comme ça va me parler de ses missions ? D’un… original ? Il m’a menti pendant des années en me disant qu’il était assureur ! »
Je jouais ma dernière carte. Celle du neveu un peu simplet, surprotégé et complètement dépassé. C’était humiliant. C’était aussi ma seule chance de survie.
Boris me dévisagea, son emprise se relâchant d’un millimètre, juste assez pour que je puisse inspirer une goulée d’air. Le scorpion sur son cou semblait me fixer de son œil inexistant.
« Je ne sais rien, » insistai-je, les larmes de douleur et de peur montant aux yeux. « Je l’ai juste suivi parce que je m’inquiétais pour lui. J’ai vu l’enveloppe, c’est tout. Si vous voulez des réponses, c’est lui qu’il faut interroger, pas moi. Je ne suis qu’un appât pour vous. Une monnaie d’échange, non ? Un appât, ça n’a pas besoin de savoir où est le poisson. »
Le silence s’installa, lourd, tendu. Boris semblait peser mes paroles. Sa frustration était palpable. Il était le muscle, pas le cerveau, et j’étais un problème qu’il ne pouvait pas résoudre à coups de poing. Il était sous la pression de son patron, ce fameux Volkov. Un homme de main qui revient les mains vides est un homme de main remplaçable.
Lentement, il me relâcha. Je glissai le long du mur, retombant sur ma cheville blessée avec un gémissement étouffé. Je me massai la gorge, le cœur battant à un rythme de speedrun.
Boris fit les cent pas dans la petite cellule, ses pas lourds faisant trembler le sol. Il ressemblait à un ours en cage. Puis il s’arrêta et se tourna vers moi.
« D’accord, le gamin. On va faire autrement. »
Il sortit de sa poche un objet sombre et le jeta sur le matelas à côté de moi. C’était un téléphone basique, un modèle prépayé anonyme. Un burner phone.
« Tu as une heure, » dit-il d’un ton sans réplique. « Une heure pour te souvenir. Pour réfléchir à tout ce que ton oncle a pu dire, à tout ce que tu as pu voir. Le moindre détail. »
Il se dirigea vers la porte.
« Tu ne sais peut-être pas où est l’original, » a-t-il dit doucement. « Mais je parie que lui, il le sait. Et maintenant, on a un excellent moyen de le faire parler. »
« Si quelque chose te revient… ou si l’envie te prend de parler à ton oncle pour le supplier de coopérer… tu utilises ça. Le seul numéro enregistré est celui du patron. »
Il marqua une pause sur le seuil, son ombre massive me recouvrant entièrement.
« Mais sache une chose. On saura si tu essaies d’appeler quelqu’un d’autre. Et si dans une heure, tu n’as rien de mieux à me proposer, je reviendrai. Et je ne serai pas aussi patient. »
La porte métallique claqua avec la finalité d’une pierre tombale. Le bruit du lourd verrou qui s’enclenche me fit sursauter.
Et je me retrouvai seul. Dans le silence, ma respiration haletante et les battements de mon cœur. Sur le matelas crasseux, le petit téléphone noir reposait, écran éteint. Un espoir potentiel. Un piège certain.
Une heure. Le compte à rebours venait de commencer.
