Épisode 12 : Zone de Guerre

Le nom a résonné dans le silence poisseux de la pièce comme une détonation. Le Phénix. Les mots de la note cryptique, que je tournais et retournais dans ma tête depuis des jours, venaient de prendre une nouvelle dimension, bien plus tangible et menaçante. « Ne fais pas confiance au Phénix. »

Boris me fixait, un rictus mauvais étirant sa balafre. Il tenait mon téléphone piégé entre ses doigts épais comme des saucisses. L’écran, qui aurait dû être éteint, brillait d’une lueur malsaine.

« Tu vois, petit, commença-t-il d’un ton faussement professoral, quand on joue avec les fantômes, il ne faut pas s’étonner qu’ils répondent. »

C’est à cet instant que le monde a basculé.

Un son strident, une sorte de feedback numérique assourdissant, a jailli du téléphone. Boris l’a lâché comme s’il était brûlant, le regardant tomber sur le carrelage avec une horreur non feinte. Simultanément, les ampoules nues du plafond se sont mises à clignoter frénétiquement. Pas une coupure de courant. Un stroboscope. Un rythme saccadé, agressif, qui découpait la réalité en flashs cauchemardesques.

Dans le couloir, des hurlements en russe ont éclaté. Une alarme, non pas celle d’un incendie, mais une sirène électronique perçante, s’est déclenchée, accompagnée d’une voix synthétique qui répétait « ALERTE INTRUSION NIVEAU 5. PROTOCOLE VERROUILLAGE ANNULÉ. ALERTE… »

La panique de Boris était totale. Ce n’était plus l’homme de main glacial et méthodique. C’était un animal pris au piège. Ses yeux passaient de l’écran du téléphone crépitant au sol, aux lumières clignotantes, à la porte de ma cellule.

Mon cerveau, malgré la douleur et la fatigue, a catalogué la scène en une fraction de seconde.

  1. L’attaque n’est pas physique, elle est numérique. Un hack massif et brutal. Le Phénix n’enfonce pas les portes, il les déverrouille à distance.
  2. La réaction de Boris n’est pas de la colère, c’est de la terreur. Il ne fait pas face à un ennemi connu comme la DGSE ou la CIA. Il fait face à quelque chose qu’il craint plus encore.
  3. Le chaos est mon unique chance. Chaque seconde de panique de leur côté était une seconde de gagnée pour moi.

La serrure électronique de ma porte a grésillé avant d’émettre un CLAC sonore. La porte s’est entrouverte d’un centimètre. Liberté.

Je n’ai pas attendu. Poussant sur ma jambe valide, ignorant la protestation brûlante de ma cheville, je me suis jeté contre la porte. Elle a cédé. Je me suis retrouvé dans le couloir, au milieu d’un pandémonium absolu. Un type baraqué, probablement l’un des gardes, courait dans ma direction, le visage déformé par l’incompréhension. Il ne m’a même pas vu tout de suite, aveuglé par les flashs et le vacarme.

Quand ses yeux se sont posés sur moi, la surprise a ralenti ses gestes. J’ai agi à l’instinct. Le souvenir des katas avec mon oncle a refait surface. Pas le temps pour la finesse. Au moment où il a levé son arme, j’ai pivoté sur ma jambe d’appui. Ma cheville a hurlé, mais j’ai envoyé tout mon poids dans un mawashi geri bas, visant son genou. Le craquement a été horrible. Il s’est effondré avec un cri de douleur, son arme glissant sur le sol.

Je n’ai pas pris l’arme. Je ne saurais pas m’en servir et je ne voulais pas essayer. Mon but n’était pas de me battre, mais de fuir.

Le couloir était un spectacle de désolation technologique. Des écrans sur les murs affichaient tous la même image en boucle : un oiseau de feu stylisé, un phénix, qui se consumait et renaissait de ses cendres digitales. La voix synthétique continuait son litanique message d’alerte.

Je boitais le plus vite possible, longeant le mur, chaque pas une torture. Où aller ? Vers la sortie. Laquelle ? Je ne connaissais pas les lieux. Je suivais le bruit, les courants d’air, cherchant une issue à ce labyrinthe infernal.

C’est alors qu’un bruit différent a couvert le chaos. Un CRAC sourd et puissant, le son du bois qui cède. Une porte de service, à une dizaine de mètres devant moi, venait d’être forcée.

Mon sang s’est glacé. D’autres ennemis ? Les hommes du Phénix ? Je me suis aplati contre le mur, retenant ma respiration, prêt à retourner sur mes pas.

Deux silhouettes se sont découpées dans l’encadrement de la porte. L’une, grande et anguleuse, se tenait maladroitement, une barre à mine à la main. L’autre, plus fine, plus assurée, se tenait légèrement en avant, dans une posture d’évaluation quasi-professionnelle.

Même dans la lumière stroboscopique, je les ai reconnus.

« Enzo ? » ai-je soufflé, incrédule.

La silhouette maladroite a sursauté. « Max ! Bordel, t’es vivant ! »

Sa voix, habituellement noyée dans le sarcasme, était chargée d’un soulagement si intense qu’il en était presque palpable.

La seconde silhouette a fait un pas en avant. Son visage, illuminé par les flashs intermittents, était un masque de concentration froide. Léa.

« On n’a pas le temps pour les retrouvailles, » a-t-elle lancé, sa voix tranchante comme du verre pilé. « La situation est instable. Il faut sortir. Maintenant. »

Enzo a lâché sa barre à mine qui a résonné sur le sol. Il a fait un pas vers moi, puis s’est arrêté, ne sachant que faire. Moi non plus. Les voir ici, au milieu de cet enfer, était la chose la plus absurde et la plus merveilleuse qui soit. Léa et Enzo. Mon meilleur ami et ma rivale de toujours. Alliés. Pour moi.

Un instant de flottement. Un seul. Un soupir de soulagement collectif qui n’a pas duré une seconde.

« Personne ne bouge. »

La voix était venue du fond du couloir. Froide, nette, débarrassée de toute panique.

Boris se tenait là. Il avait récupéré son calme et une arme. Le canon de son pistolet, parfaitement stable, était pointé droit sur nous. Sur moi. Le rictus était revenu sur son visage balafré.

« La fête est finie, les enfants. »