Épisode 13 : Échec et Mat

Le canon du pistolet de Boris était un trou noir. Un vortex qui aspirait toute la lumière, tout l’air, toute l’espoir du couloir miteux. Ma cheville lançait des éclairs de douleur si vifs que j’avais l’impression qu’on la broyait dans un étau, mais la peur était un anesthésiant puissant. À ma gauche, Enzo était livide, pétrifié, ses yeux passant de l’arme à moi dans une panique muette. À ma droite, Léa. Tendue comme une corde de piano, prête à vibrer, à claquer. Elle ne regardait pas l’arme. Elle regardait Boris.

« C’est fini, les enfants, » cracha l’homme de main de Volkov, sa voix un grondement rauque. La sueur perlait sur son crâne. Le chaos de la cyber-attaque, les alarmes qui hululaient encore au loin, l’avaient secoué, mais la rage avait repris le dessus. « Le gamin me donne ce que je suis venu chercher. L’Original. Et vous deux… vous n’auriez jamais dû être là. »

Mon cerveau, malgré la panique, tournait à plein régime. Il cataloguait, analysait, cherchait une issue. C’était un mécanisme de défense, la seule chose qui m’empêchait de m’effondrer.

  1. Le doigt de Boris. Il est sur la détente, mais son articulation est blanche. Il n’est pas calme. Il est à cran, prêt à tirer par réflexe, pas par décision.
  2. La position de Léa. Elle est légèrement en retrait, ses pieds décalés. Posture de combat. Elle attend une ouverture, la plus infime des fractions de seconde. Elle est notre seule chance physique.
  3. Enzo. Il est notre plus grande faiblesse. Un mouvement brusque de sa part et Boris tire. Je dois le maintenir calme sans même lui parler.
  4. Mon téléphone. Il est dans ma poche. Le mouchard que j’ai bricolé. Le signal est parti. Mais quoi d’autre ? Il a une batterie. Il a une fonction sonnerie. Une distraction potentielle.

« L’Original… » je répétai, ma voix plus stable que je ne l’aurais cru. J’ai essayé de gagner du temps, de rassembler mes pensées en un bluff crédible. « Vous ne comprenez vraiment rien, n’est-ce pas ? »

Boris plissa les yeux. « Qu’est-ce que tu racontes ? Donne-le-moi ! »

« Il n’y a rien à donner, » dis-je en m’appuyant un peu plus sur mon pied valide. « L’Original n’est pas un objet. Ce n’est pas un fichier sur un disque dur que vous pouvez copier. C’est une clé de chiffrement dynamique, liée à mes données biométriques. Elle se régénère toutes les soixante secondes. »

Le jargon technique, balancé avec une assurance que je ne possédais absolument pas, le fit hésiter. Enzo me lança un regard éberlué. Léa, elle, ne cilla pas. Elle avait compris.

« Tu mens, » grogna Boris, mais une graine de doute était plantée.

« Vraiment ? » intervint Léa, sa voix tranchante comme du verre pilé. « Mon père travaille pour la DGSI. Je sais reconnaître un protocole de sécurité avancée quand j’en vois un. Si vous le tuez, la clé est perdue à jamais. Volkov sera… mécontent. »

La mention de la DGSI et de son père fit mouche. Le visage de Boris se crispa. Il était pris entre deux feux : l’ordre de son patron et la possibilité de tout faire échouer de manière spectaculaire.

« Alors comment je le récupère ? » demanda-t-il, sa prise sur l’arme se relâchant imperceptiblement.

« Il faut que je l’initialise depuis mon terminal, » dis-je en désignant d’un vague coup de menton mon téléphone dans ma poche. « Mais si je fais un geste brusque… »

C’est à cet instant précis que le monde bascula.

Une sonnerie stridente, horrible, une sonnerie de base que je n’avais pas changée depuis des années, déchira le silence tendu. Mon téléphone. Quelqu’un appelait. Ou peut-être que c’était une alerte du piège que j’avais tendu ? Peu importe. L’effet fut instantané.

Le regard de Boris décrocha de nous pour se poser sur ma poche d’où venait le bruit. Une erreur d’une demi-seconde.
Pour Léa, c’était une éternité.

Elle explosa.

Son mouvement fut une pure fulgurance. Sa main gauche frappa le poignet de Boris vers le haut, déviant l’arme vers le plafond. Un coup de feu assourdissant déchira l’air, la balle se fichant dans le béton avec un bruit sourd. Simultanément, elle pivota, son autre bras se verrouillant autour du sien. Ude-hishigi-juji-gatame. Une clé de bras en croix. Je reconnus la prise pour l’avoir vue dans des vidéos.

Malgré ma cheville en feu, l’adrénaline me propulsa en avant. Je me jetai sur sa jambe d’appui, tout mon poids concentré sur un seul point. Le géant vacilla, déséquilibré. Léa tira, et le bras de Boris céda avec un craquement sinistre. Il hurla, un son plus animal qu’humain, et lâcha son arme qui glissa sur le sol. En une seconde, il était à genoux, vaincu, le visage tordu de douleur.

Le silence retomba, seulement brisé par sa respiration haletante et la sonnerie insistante de mon téléphone. Enzo, le dos collé au mur, glissa lentement jusqu’au sol, visiblement au bord de l’évanouissement.

Je coupai la sonnerie. Le calme qui suivit fut presque aussi terrifiant que le bruit.

C’est alors qu’ils apparurent.

Sans un bruit, surgissant des deux extrémités du couloir. Quatre silhouettes vêtues de noir, équipées de matériel tactique, des armes courtes pointées vers le bas dans une posture professionnelle. Ils n’avaient rien à voir avec des hommes de main comme Boris. Ceux-là étaient des opérateurs. Silencieux, efficaces, fantomatiques.

Ils formèrent un périmètre autour de nous, ignorant Boris qui gémissait au sol. L’un d’eux, une femme dont le visage était à moitié masqué par un col remonté, s’avança. Ses yeux, froids et calculateurs, nous jaugèrent un par un avant de se fixer sur moi.

« Zone sécurisée, » dit-elle d’une voix calme et sans inflexion. « Nous sommes le Phénix. »

Mon sang se glaça. La note dans ma poche. Ne fais pas confiance au Phénix.

La femme fit un pas de plus, son regard ne me lâchant pas.

« Maxime Dubois. L’Original. Donnez-le-nous. Maintenant. »