La salle de contrôle de la base Alpha-9 baignait dans une lumière bleue et aseptisée. Des bulles d’oxygène paresseuses montaient le long des murs transparents, seules témoins du ballet incessant des créatures des abysses qui dansaient à l’extérieur. Assise devant une mosaïque d’écrans, Elara luttait contre l’ennui. Ses doigts fins tapotaient nerveusement sur la console, rafraîchissant des données qui refusaient obstinément de changer : salinité stable, pression normale, activité biologique prévisible. Une journée de routine à 8000 mètres sous la surface du Pacifique.

« Niveau de corrosion des joints extérieurs : 0,003% au-dessus des prévisions. Inacceptable, » grésilla une voix métallique à sa droite.

K-R0, son partenaire de maintenance assigné, polissait une grille de ventilation avec une de ses multiples pinces, son unique œil rouge balayant la pièce avec une anxiété mécanique. « Si cette humidité saline continue de s’infiltrer, je finirai en un tas de rouille sentient. Une fin tragique pour une unité de mon calibre. »

Elara esquissa un sourire sans quitter ses moniteurs des yeux. « Tu dis ça tous les jours, K-R0. Tu sais bien que tes alliages sont conçus pour résister à dix fois cette pression. »

« La théorie est une chose, Elara. La réalité en est une autre, bien plus humide et corrosive, » rétorqua le robot, interrompant son polissage pour scanner à nouveau les murs, comme s’il s’attendait à voir l’océan s’engouffrer d’une seconde à l’autre.

C’est alors qu’un son brisa la monotonie. Un ‘ping’ faible, mais clair. Un écho qui n’avait rien à faire là. Il apparut sous la forme d’une minuscule pointe sur le spectrogramme longue portée.

Elara se pencha en avant, ses cheveux bleus frôlant l’écran. « Tiens… C’est quoi, ça ? »

Le ‘ping’ se répéta. Rythmique. Trop régulier pour être géologique. Trop simple pour être biologique, du moins pour les espèces connues qui communiquaient par clics et sifflements complexes.

« Probablement un défaut de capteur, » déclara K-R0 sans la moindre hésitation. « Je préconise un redémarrage complet du système de sonar. Et une vérification de mon exosquelette pour d’éventuels dommages liés aux micro-vibrations. »

Mais Elara n’écoutait plus. Elle isola la fréquence, triangula la source. Les coordonnées qui s’affichèrent lui donnèrent le frisson. Le signal provenait du fond de la fosse, bien plus bas que leurs zones d’exploration habituelles. Un territoire interdit, marqué en rouge sur toutes les cartes. La pression y était telle que seul un submersible expérimental pouvait espérer y survivre quelques minutes.

« Ce n’est pas un défaut de capteur, » murmura-t-elle, fascinée. « C’est une émission. C’est… propre. Presque mathématique. Il faut qu’on aille voir. »

L’œil de K-R0 vira au rouge vif. « Négatif. Absolument négatif. Le protocole 7-Gamma interdit toute excursion non planifiée en dessous de 9000 mètres. Pression, faune inconnue, instabilité sismique… La liste des raisons de ne PAS y aller est plus longue que mes journaux de maintenance. Et ils sont très, très longs. »

« Ce sera une mission de ‘calibration de capteur’, » dit Elara, un éclair de malice dans les yeux, tandis qu’elle commençait déjà à remplir une demande d’autorisation électronique avec des motifs vagues. « On prend le Nautilus-3. Une petite plongée, on identifie la source, et on remonte. Personne ne saura rien. »

« Le Nautilus-3 est un cercueil glorifié ! Et MOI, je saurai ! Mes circuits de survie hurlent à l’idée de descendre là-dedans ! C’est non ! »

« K-R0, » dit Elara d’une voix soudainement ferme, se tournant vers lui. « C’est peut-être la plus grande découverte de notre siècle. Une chance unique. Soit tu viens avec moi, soit je te désactive et je te traîne jusqu’au hangar. Protocole d’exploration prioritaire, article 12, alinéa B : la décision finale en mission revient au biologiste en chef. »

Le robot resta immobile une longue seconde, ses pinces figées. Un cliquetis sec indiqua qu’il venait de consulter les règlements internes. Un long soupir de ventilateurs s’échappa de son châssis. « Mes processeurs détestent votre personnalité imprudente, » finit-il par grincer.

Une heure plus tard, le petit submersible jaune, le Nautilus-3, se détachait de son port d’attache sous la base Alpha-9. À l’intérieur du cockpit exigu, Elara était aux anges, ses yeux brillant d’anticipation. À côté d’elle, K-R0, branché à la console de navigation, affichait une liste interminable d’alertes de pression sur un écran secondaire.

« 8500 mètres. Pression à 850 bars. Intégrité de la coque à 99,8%. C’est déjà trop, » annonça-t-il d’un ton funèbre.

« Tout va bien, K-R0. Fais-moi confiance. »

Ils descendirent encore. Le monde extérieur, autrefois peuplé de poissons étranges et de méduses fantomatiques, devint un vide d’encre. Les puissants projecteurs du Nautilus-3 ne parvenaient plus à percer la pénombre, leur lumière semblant être avalée à quelques mètres à peine de la coque.

« 10 000 mètres. Le signal est plus fort, » dit Elara, sa voix résonnant dans le silence du cockpit.

Soudain, une ombre gigantesque passa au-dessus d’eux, masquant la faible lueur résiduelle de la base loin, très loin au-dessus. Une créature bien plus grande que tout ce qu’ils avaient jamais répertorié.

« Extinction des feux ! Maintenant ! » ordonna Elara.

K-R0 obéit à contrecœur. D’un coup, ce fut le noir absolu. Le silence total, uniquement brisé par les bips réguliers du sonar qui les guidait. Ils étaient seuls, aveugles, suspendus dans un vide infini, poursuivant une chimère électronique vers le cœur inconnu de la planète.