Le silence qui avait suivi leur découverte était presque plus assourdissant que le chant qui les avait guidés. Face à la cité morte, le temps semblait s’être figé. Elara, le souffle coupé, ne pouvait détacher son regard des flèches noires qui défiaient les lois de l’architecture et de la physique. C’était une merveille silencieuse, un secret gardé par l’océan depuis des éons.

« Mes capteurs ne détectent aucune forme de vie, » annonça K-R0, sa voix anormalement neutre. « Aucune émission thermique, aucune radiation au-delà du bruit de fond ambiant. Pourtant… mes processeurs logiques sont en conflit. L’existence même de cette structure est une impossibilité statistique. Probabilité de formation naturelle : zéro. Probabilité de construction par une espèce connue : zéro. Conclusion : nous sommes face à un paradoxe matériel. »

« Ce n’est pas un paradoxe, c’est une découverte, » répondit Elara, son esprit de scientifique reprenant le dessus sur l’émerveillement. « Il faut qu’on s’approche. Je veux une analyse des matériaux. K-R0, prépare le bras d’échantillonnage. »

L’œil rouge du robot clignota frénétiquement. « Négatif ! Approche non recommandée ! La proximité avec une anomalie de cette magnitude est une violation de tous les protocoles de sécurité que j’ai jamais consultés. Et je les ai tous consultés. Nous devrions transmettre les coordonnées à la base et remonter immédiatement. »

« Pas question, » rétorqua Elara, saisissant les manettes de pilotage. « On ne saura jamais ce que c’est en restant à un kilomètre de distance. Je vais nous poser sur cette corniche-là. »

Elle désigna une large plateforme qui s’avançait depuis l’une des tours principales, une sorte de balcon titanesque surplombant le vide. Ignorant les protestations stridentes de K-R0, qui se lança dans une litanie de scénarios d’implosion et de contamination par des nanites grises, Elara manœuvra le Nautilus-3 avec une précision délicate.

Alors qu’ils n’étaient plus qu’à quelques mètres de la structure, la cité réagit.

Ce ne fut pas un mouvement. Ce fut une illumination. Les motifs géométriques gravés sur la surface noire, jusqu’alors mats, s’embrasèrent d’une lumière blanche et bleue. Des lignes d’énergie pure parcoururent la tour comme un système nerveux, dessinant des circuits complexes qui pulsaient en rythme. Le chant, absent depuis leur arrivée, reprit. Mais ce n’était plus une mélodie accueillante. C’était un son puissant, une onde de choc sonore qui frappa le submersible de plein fouet.

« ALERTE ! SURTENSION ÉNERGÉTIQUE ! » hurla K-R0, tandis que les consoles du cockpit crépitaient. Les lumières clignotèrent, plongeant la cabine dans une alternance de lumière et de ténèbres.

Une vague d’énergie invisible les enveloppa. Elara sentit une étrange pression, non pas sur la coque, mais sur son esprit, comme si quelque chose essayait de lire ses pensées. Puis, aussi vite qu’elle était apparue, la vague se retira.

Le calme revint. La cité continuait de pulser, vivante, attentive. Le chant s’était apaisé, se transformant en un bourdonnement grave et continu.

« Systèmes endommagés mais fonctionnels, » rapporta K-R0, sa voix tremblante. « L’émission d’énergie était… non-physique. Elle a interagi directement avec nos systèmes électriques. C’est impossible. »

C’est alors qu’une voix paniquée crachota dans leur radio, brisant des kilomètres de silence et d’eau. « Alpha-9 à Nautilus-3 ! Répondez ! »

Elara activa la communication. « Ici Nautilus-3. Nous recevons. Tout va… »

« Qu’est-ce que vous avez fait, Elara ?! » coupa la voix du Commandant de la base, tendue à l’extrême. « On enregistre un événement sismique majeur, d’une magnitude jamais vue ! L’épicentre est… sur votre position ! Les piliers de soutien de la base sont en alerte rouge ! La fosse entière est en train de devenir instable ! »

Elara jeta un œil au sonar. Des vagues rouges d’alerte sismique émanaient de la cité et se propageaient dans toutes les directions. Elle comprit avec une horreur glaciale. En s’approchant, ils n’avaient pas seulement réveillé la cité. Ils l’avaient fait réagir. Et la réaction de cette entité titanesque était une onde de choc capable de détruire la base et de provoquer un cataclysme.

« Ce n’est pas un tremblement de terre, Commandant, » dit Elara, sa voix soudainement grave. « C’est la ville. Elle est… vivante. Et je crois qu’on vient de la mettre en colère. »