Les murs du Nautilus-3 vibraient sous l’effet des ondes de choc sismiques. Sur le canal de communication, les appels paniqués du Commandant d’Alpha-9 étaient hachés par les parasites, chaque mot un rappel sinistre de la catastrophe qu’ils avaient déclenchée.
« C’est la fin, » déclara K-R0 d’un ton résigné, son œil rouge fixant un moniteur affichant une spirale de mort statistique. « La cité nous perçoit comme une menace. Sa réponse défensive va détruire notre base. Par extension, elle va nous détruire. La logique est implacable. J’aurais dû insister pour rester polir cette grille de ventilation. »
Mais Elara ne l’écoutait qu’à moitié. Son regard était fixé sur les lignes de lumière qui parcouraient la cité. Ce n’était pas un chaos aveugle. C’était un rythme, une pulsation de colère. La vague d’énergie qui les avait frappés, la pression sur son esprit… ce n’était pas une attaque. C’était une question, hurlée dans un langage qu’ils ne comprenaient pas : ‘QUI ÊTES-VOUS ?’.
« Ce n’est pas de la colère, K-R0. C’est de la peur, » dit-elle soudain, sa voix vibrante d’une certitude nouvelle. « On est entrés chez elle sans frapper. On l’a effrayée. Le chant qu’on a suivi… c’était son état de repos. Une sorte de ronronnement. Et notre approche a été l’équivalent d’un coup de pied. »
« Une analogie zoologique charmante mais inutile, » grésilla le robot. « Le résultat est le même : une implosion imminente. »
« Non ! » s’exclama Elara en se tournant vers lui. « Si on peut la faire paniquer, on peut la calmer ! Le chant ! On doit lui répondre en utilisant le même langage. K-R0, tu as enregistré le signal initial, n’est-ce pas ? »
« Évidemment. Chaque donnée est archivée, même celles menant à notre perte, » confirma le robot.
« Alors, fais l’inverse ! Ne te contente pas de l’écouter. Diffuse-le ! Module les émissions du sonar pour répliquer exactement la mélodie qu’on a entendue en arrivant ! »
L’œil de K-R0 devint écarlate. « HORS DE QUESTION ! Émettre un signal énergétique, même faible, vers une entité qui répond aux stimuli par des ondes sismiques est l’acte le plus illogique et suicidaire que vous ayez proposé aujourd’hui, et la compétition était rude ! Cela ne fera que confirmer ses soupçons ! »
« C’est notre seule chance, » insista Elara, sa main se posant sur le panneau de contrôle du sonar. « Soit on lui parle, soit on meurt tous. Et la base avec nous. C’est un ordre, K-R0. Protocole d’urgence : initiative du biologiste en chef pour établir un premier contact pacifique. »
Un long silence s’installa, seulement brisé par une nouvelle secousse plus violente que les précédentes. Un bruit de torsion métallique se fit entendre à l’arrière du submersible. K-R0 émit un long soupir de ventilateurs, le son d’une machine acceptant sa défaite face à une logique humaine irrationnelle.
« Très bien. Calibrage des fréquences… Analyse de la structure harmonique… Modulation de l’impulsion sonar… Je tiens à ce qu’il soit consigné dans mes journaux de bord que je proteste formellement. »
Plusieurs de ses pinces se mirent à danser sur la console avec une rapidité fulgurante. Les bips agressifs du sonar cessèrent. À la place, une note basse et pure émana du Nautilus-3. Puis une autre, et une autre, recréant la mélodie spectrale et enchanteresse qui les avait guidés jusqu’ici. Ce n’était plus un ‘ping’ d’écholocation, mais une offre de paix, une question murmurée dans le langage de la cité.
Ils attendirent, suspendus dans l’eau vibrante, le souffle coupé. Pendant une seconde qui dura une éternité, rien ne se passa. La cité continuait de pulser de sa lumière blanche et agressive.
Puis, lentement, les secousses sismiques s’estompèrent. Le bourdonnement menaçant qui faisait vibrer la coque s’adoucit. La lumière blanche et crue qui émanait des tours vira progressivement au bleu doux et paisible qu’ils avaient vu en premier. Le silence revint, total, profond.
La cité avait écouté. La cité avait compris.
Une nouvelle séquence de lumières ondula sur les murs de la tour la plus proche, plus lente, plus complexe. Le chant changea, se muant en une nouvelle mélodie, interrogative cette fois. Le dialogue venait de commencer.
« Tremblements… stabilisés, » annonça K-R0, sa voix presque incrédule. « L’émission d’énergie hostile a cessé. La base Alpha-9 signale que les alertes structurelles sont levées. Apparemment, nous ne sommes pas morts. »
Elara laissa échapper le souffle qu’elle retenait, un large sourire illuminant son visage. Devant eux, la cité antique attendait, non plus comme une menace, mais comme le plus grand mystère de l’histoire de l’humanité, prêt à être dévoilé. Leur mission de routine était terminée. L’odyssée ne faisait que commencer.
